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« débrouillage, » pour employer une expression de l’argot militaire ; mais c’était aussi, avec la lenteur et l’irrégularité des communications, le champ le plus favorable aux hardiesses de l’initiative individuelle, qui tournaient bien ou mal, suivant la chance ou la valeur des hommes.

Ceux-ci, dans leur ensemble, furent bien choisis, animés des intentions les meilleures, énergiques, désintéressés, imbus de l’esprit de devoir, et c’est ce qui fait qu’en dépit des fautes commises, nous pouvons considérer avec un certain orgueil l’histoire de nos débuts en Indo-Chine. Les erreurs étaient inévitables dans un milieu si inconnu, sur un théâtre si nouveau, et dans l’accomplissement d’une tâche si mal préparée, où le gouvernement de Napoléon III se lançait sans aucun fil directeur. Elles vinrent beaucoup plus de notre ignorance générale et de notre organisation rudimentaire que de l’insuffisance des chefs et de leurs subordonnés.

Une fois la Basse-Cochinchine occupée, nous nous trouvâmes naturellement amenés à entrer en contact avec le Cambodge, et avec le prince qui venait de monter sur le trône khmer. Le gouvernement impérial, s’il eût été mieux inspiré, plus instruit, plus clairvoyant, aurait pu tirer du Cambodge, enjeu des rivalités des deux empires prédominans de l’Indo-Chine, et de sa situation intermédiaire, un parti tout autre ; il aurait probablement rempli nos destinées beaucoup plus vite, avec beaucoup moins d’efforts et de sacrifices de vies et d’argent français[1], et d’une manière plus conforme à nos traditions généreuses : le point de départ de nos entreprises eût été, en effet, la défense d’une nationalité injustement opprimée, et invoquant d’elle-même le secours de nos armes et le poids de nos influences.

  1. En 1854, le prédécesseur de Norodom, An-duong, effrayé des perspectives d’absorption définitive dont menaçaient sa couronne les rivalités des Annamites et des Siamois, eut l’idée, on ne sait trop sous quelle inspiration, d’envoyer à Singapore auprès de notre consul un métis portugais, chrétien de son entourage, pour invoquer la protection de la France et réclamer l’envoi à sa cour d’un plénipotentiaire chargé de la négociation d’un traité régulier. L’année suivante, M. de Montigny, notre agent en Chine, sans doute à la suite de ces ouvertures, vint en Indo-Chine ; mais par malheur, au lieu de s’aboucher directement avec le roi du Cambodge, il se rendit en premier lieu à Bangkok, où il eut l’imprudence de révéler son intention de s’entretenir ultérieurement avec An-duong. Dès lors, sa mission était condamnée à la stérilité ; d’autres maladresses et impatiences de sa part, jointes à la surveillance exacte dont il fut aussitôt l’objet, l’empêchèrent même de se rendre à la capitale cambodgienne et tout fut remis en question jusqu’à une époque indéterminée.