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et critique que devrait être tout volume du genre de celui-là : car il en est de ce genre de volumes comme des articles d’encyclopédies ou de dictionnaires, où, quelque notoire que soit le sujet traité, l’auteur est tenu d’imaginer qu’il s’adresse à des lecteurs tout à fait ignorans. M. Raleigh lui, ne s’adresse qu’à des lecteurs qui connaissent déjà l’œuvre de Shakspeare : et ces lecteurs même, souvent, ne peuvent apprécier la justesse de ses comparaisons ou de ses allusions qu’en se rapportant au texte du poète anglais. Mais le petit livre nouveau n’en reste pas moins, dans son ensemble, l’un des meilleurs que nous ayons sur la vie et l’œuvre de l’auteur d’Othello. Sa partie proprement biographique, surtout, mériterait d’être traduite presque tout entière : on y trouvera résumé, en une vingtaine de pages, tout ce que l’immense effort des chercheurs, depuis trois cents ans, a mis au jour de certain ou de vraisemblable.

M. Raleigh estime, d’ailleurs, et très justement, que nous n’avons pas le droit de nous plaindre de l’insuffisance des renseignemens qui nous sont parvenus sur la vie du poète. Les documens authentiques sont rares : mais ils nous permettent fort bien de nous représenter la carrière de Shakspeare à tous ceux de ses momens qu’il nous importe de connaître ; et à ces données documentaires s’ajoutent encore, pour achever de nous éclairer, une foule de traditions qu’il serait déraisonnable de vouloir rejeter, comme un bon nombre d’auteurs contemporains ont essayé de le faire, pour y substituer des hypothèses de pure fantaisie. Sans compter que, si tels ou tels points de la vie privée de Shakspeare nous demeurent obscurs, nous nous trouvons, au contraire, parfaitement renseignés sur sa vie de poète et d’auteur dramatique, c’est-à-dire sur les sources de son inspiration et sur le parti qu’il en a tiré. Cette description des sources de l’œuvre shakspearienne est, peut-être, ce que contient de plus décisif l’intéressant volume de M. Raleigh ; et je ne puis m’empêcher d’en citer, tout au moins, les lignes que voici, sur un point qui a de quoi nous toucher tout spécialement :


Si Shakspeare avait étudié Arioste, ainsi qu’on l’a prétendu, sûrement nous découvririons, dans son œuvre, des traces plus nombreuses de cette connaissance que les pauvres indices que l’on nous signale ; et le même argument s’applique à Rabelais. Il y a des substances qui ont la propriété de s’enflammer l’une l’autre ; et, par cela même qu’elles ne l’ont point fait, nous devinons qu’il ne leur est jamais arrivé d’entrer en contact. Nous lisons bien, dans Comme il vous plaira, une allusion à la largeur de la bouche de Gargantua : mais probablement ce n’est là qu’une réminiscence