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particuliers, et que ce sont les jésuites. Français et gallican, il en veut tout spécialement à l’ordre né en Espagne pour être une milice du pape de Rome. Aussi n’y a-t-il si basse injure qu’il ne ramasse contre l’ordre « loyolitique, » ni si odieuse calomnie qu’il ne soit prêt d’accueillir à cœur ouvert. Un jésuite « révolté et retourné » vient de publier un libelle, Les Jésuites sur l’échafaud, où il accuse ses anciens confrères de faire de la fausse monnaie, de débaucher des femmes à la confession… et autres crimes pendables. Gui Patin s’empresse de le recommander, sans le connaître encore que par ouï-dire ; l’ayant lu, il prononce hardiment : « Je pense que tout cela est vrai, car il n’y a mal imaginable que ces fourbes ne commettent. » Je pense… N’oublions pas que Gui Patin est pour la justice et la vérité : ce sont de ses façons de parler. Il n’admet pas les procès de tendances. Mais chez lui, déjà, la hantise du péril jésuitique est à l’état de « manie. »

Aussi le parti où il va se ranger dans la lutte qui divise toute la société au XVIIe siècle, ne fait-il point doute. On peut suivre dans les Lettres de Gui Patin toute l’histoire de la querelle janséniste : assemblées de Sorbonne, publication de l’Augustinus, du Traité de la fréquente communion, affaire des cinq propositions, et enfin apparition des Provinciales. Patin fait en cent endroits le panégyrique des Jansénius, des Lemaistre, des Arnauld, des Pascal. Il s’en fallait qu’il pensât comme eux sur les points essentiels et qu’il partageât aucunement l’état d’esprit de ces grands chrétiens ; mais il lui suffit qu’ils soient ennemis des jésuites. Un incident fameux allait mettre notre docteur dans une assez singulière posture : ce fut le miracle de la Sainte-Épine. D’une part, Gui Patin ne croit guère aux miracles ; en outre, parmi les témoins qui ont signé celui-ci, il y a cinq chirurgiens-barbiers ! D’autre part ce miracle qui contriste les jésuites n’est pas tout à fait un miracle pareil aux autres. On lui en demanda son avis. « J’ai répondu que c’était peut-être un miracle que Dieu avait permis d’être fait au Port-Royal, pour consoler ces pauvres bonnes gens qu’on appelle des jansénistes, qui ont été depuis trois ans persécutés par le Pape, les jésuites, la Sorbonne… et aussi pour abaisser l’orgueil des jésuites qui sont fort insolens et impudens. » C’était parler en diplomate — ou en casuiste !

Il reste une question délicate et d’ailleurs essentielle : c’est non plus de compter les haines de Gui Patin contre les personnes, mais de définir avec quelque précision la nuance de sa religion, ou, si l’on préfère, le degré de son irréligion. C’est par là que ses Lettres