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retarde sur son temps. On en aurait une preuve aussi concluante dans la qualité des plaisanteries qui foisonnent sous la plume de l’écrivain. Il en est de macabres. Qu’il s’agisse de Richelieu ou de Mazarin : « Il est en plomb, le cardinal ! » est le refrain dont Patin ne saurait assez se délecter. — Il en est de vulgaires. Telles les plaisanteries sur la forme et la dimension des nez. Renaudot était camus, signe indiscutable qu’il devait être puant et punais. C’est de cette drôlerie que Patin le salua, ce fameux 14 d’août 1645, en sortant du Palais : « Vous étiez camus lorsque vous êtes entré ici, et vous en sortez avec un pied de nez. » — Il en est enfin qu’on ne peut citer. Il était temps que l’Hôtel de Rambouillet, l’Académie, la Cour vinssent à bout d’épurer la langue et de former le goût des honnêtes gens. La patrie intellectuelle de Gui Patin est parmi les érudits du XVIe siècle, qui, sans doute, à leur époque et dans leur milieu, furent grands, mais qui, dans la société nouvelle ne sont pas moins sûrement démodés, surannés et fossiles. C’est des ouvrages de ces savans en us et de leurs continuateurs qu’est surtout friand Gui Patin. Lui qui n’aime guère à bouger de chez lui, il consentirait à faire un voyage : ce serait pour aller voir à Bâle le tombeau d’Erasme, et à Leyde celui de Joseph Scaliger. Il goûte fort Heinsius et Vossius, Grotius et Gronovius, comme aussi Marc-Antoine Muret, Saumaise et Casaubon. Il se reconnaît à leur pédantisme. Et Molière ne s’y est pas trompé ; car ce qu’il reproche aux médecins, c’est bien d’être des pédans d’école embarrassés d’un savoir inutile et incapables de se ranger à une opinion qui ne soit garantie par l’autorité d’un ancien.

La condition, la profession, les habitudes d’esprit nous rendent assez bien compte des opinions politiques, littéraires, religieuses de Gui Patin. C’est plutôt son bourgeoisisme qui apparaît, quand il parle de politique. D’abord il s’intéresse passionnément à la politique, ne doute pas de sa compétence à traiter des affaires publiques, et morigène sans scrupule ceux qui saignent et purgent l’État, comme il fait ses malades. Frondeur mais docile, c’est un jeu pour lui de résoudre ce problème délicat : être contre les puissans tout en étant pour le pouvoir et contre les ministres tout en étant pour le gouvernement. Richelieu est premier ministre et il est prêtre : Gui Patin, qui le hait, ne doute pas qu’il n’ait fait à la France beaucoup de mal, répandu le sang innocent, et ruiné le pays. Mazarin est en outre un étranger. Le « nationalisme » de Patin se révolte contre cet intrus, et il ne trouve pas dans son répertoire, pourtant si riche, assez d’injures pour en accabler ce diable et ce démon, ce faquin, ce pantalon à