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des marchands, des avocats. Il était l’aîné de sept enfans ; on voulut lui donner un bénéfice ; au risque de se brouiller avec ses parens, il refusa tout à plat, protestant qu’il ne serait jamais prêtre. Ce n’est pas que le métier lui parût moins avantageux qu’un autre ; mais il manquait totalement de vocation. Il vint à Paris, fit sa médecine, fut reçu docteur et bientôt fort estimé dans sa profession. C’est surtout aux années de sa maturité qu’il est bon à regarder, alors que lui sont venues la réputation et l’aisance. Il a acheté pour neuf mille écus, dans la place du Chevalier du Guet, une maison en belle vue et hors du bruit ; il y possède notamment une étude grande et vaste où tiennent, en se serrant, ses dix mille volumes. « Nos messieurs disent que je suis le mieux logé de Paris. Ma femme dit que voilà bien du bonheur en une fin d’année : son mari doyen, son fils aîné docteur, et une belle maison qu’elle souhaitait fort. » En outre, Gui Patin a maison des champs : c’est à Cormeille-en-Parisis, une petite lieue par-delà Argenteuil. Autant que de ses dix mille volumes, il est fier de ses deux cents cerisiers, de ses cinq cents poiriers, de ses fraises dont on peut cueillir à volonté et de ses vendanges auxquelles sa femme préside. Autour de lui, dans ses belles allées, il se plaît à voir grouiller de la jeunesse. « J’aime bien les enfans, j’en ai six, et il me semble que je n’en ai point encore assez. » Aussi prendra-t-il chez lui en pension le fils de son ami Falconet ; rien de plus édifiant que la sollicitude dont il entoure ce garçon et que la prudence avec laquelle il avertit le père des dangers qu’offrirait une ville comme Montpellier, réputée pour la débauche de ses étudians. Gui Patin est sur ce point d’une sévérité à laquelle l’autorisait l’exemple de sa vie, une vie toute de labeur, remplie par les devoirs du praticien, et où nulle part n’est faite à la frivolité. Le peu de loisirs que lui laissent ses occupations, il les passe dans sa bibliothèque, où les romans ne tiennent pas plus de place que les livres de dévotion. Son délassement consiste à s’entretenir, les après-soupers, avec ses deux illustres voisins, M. Miron, président aux enquêtes, et M. Charpentier, conseiller aux requêtes. On les appelle les trois docteurs du quartier. Une fois la semaine, il va dîner chez le premier président Lamoignon ; c’est sa principale distraction, et celle, en tout cas, dont il se montre le plus fier ; car, on a pu déjà s’en apercevoir, ce bourgeois cossu n’est pas dépourvu de toute espèce de vanité. Lamoignon l’envoie chercher dans son carrosse ; il le fait asseoir à table entre lui et Mme la première présidente ; ou encore, il donne ordre qu’ils seront tous deux seuls : « M. Patin vaut bien une audience particulière. » Le moyen de ne pas se sentir honoré par des