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c’est le chapitre sur les États-Unis. Quoi qu’il en soit, il me dit que même les journaux abolitionnistes ont reconnu l’exactitude des principes posés. De sorte que sur cette terre essentiellement pratique, avec des corrections et des inconséquences, ils ont su faire d’une théorie toute scientifique un pavé que les partis se jettent à la tête. Je n’y vois pas d’inconvéniens, mais j’en vois beaucoup à ce que vous, monsieur, qui m’aimez, vous gardiez comme une arrière-pensée sur la moralité de ma conception. Que puis-je dire ? Si la vérité n’a pas une moralité supérieure en elle-même, je suis le premier à convenir que mon livre en manque tout à fait, mais il n’a pas non plus le contraire, pas plus que la médecine, pas plus que l’archéologie, pas plus que la géologie. C’est une recherche, une exposition, une extraction de faits. Ils sont ou ils ne sont pas. Il n’y a rien à dire de plus.

Je ne vous parle pas de la Perse aujourd’hui, vous en parlant suffisamment dans ce mémoire. J’espère avoir fini dans quelques semaines un livre de philologie qui sera comme un appendice avec démonstrations de mon premier ouvrage, car puisque j’ai une fois levé l’étendard de la révolte contre les anciens systèmes historiques, j’irai certainement jusqu’au bout et je n’abandonnerai pas les quelques personnes qui viennent déjà avec moi. Comme je vous le dis, il y a ici des trésors, manuscrits, pierres gravées, recherches archéologiques, médailles, tout concourt à mon but, tout m’est bon. Mais, diable, si je comprends bien que vous ne partagiez pas ma manière de voir, je ne veux pas que vous me condamniez sur des péchés que je ne fais pas et je ne me contente pas du tout du manteau que vous jetez sur mes fautes. Je vous en prie, regardez-les bien en face et regardez aussi les gens auxquels s’appliquent mes doctrines. Tirerez-vous une étincelle d’un morceau de cuir ? Adieu, monsieur, nous vous envoyons toutes les tendresses et les affections possibles pour vous et Mme de Tocqueville. Pensez à nous et au respect dévoué que vous me savez pour vous.

Comte A. DE GOBINEAU.