Les noirs de la forêt n’hésiteront donc pas à se venger, dès qu’ils le pourront sans courir trop de risques. Ils y sont excités par les traitans islamisés qui pénètrent au milieu d’eux et craignent notre concurrence. De là des assassinats, tels que ceux de 1902 sur la Sanga, de 1906 sur l’Oubangui ; de là des scènes de massacre et de cannibalisme, que le souci le plus élémentaire d’humanité nous oblige à châtier, et qui entretiennent un malaise toujours renouvelé. Il ne paraît pas douteux que l’occupation administrative par « agens politiques, » telle que l’a d’abord pratiquée notre gouvernement, constitue une erreur : elle dédouble l’autorité, aux yeux des indigènes, entre les concessionnaires qui voudraient faire paisiblement du commerce, et les miliciens détachés que ces soins préoccupent peu. A notre sens, l’Etat devrait s’abstenir de toute police sur les domaines des Sociétés, tant qu’il ne sera pas capable d’assurer ce service par les agens nécessaires, c’est-à-dire par des blancs. La présence d’agens noirs seuls, le fait est aujourd’hui patent, est une prime à l’émeute plutôt qu’une garantie de sécurité ; nous estimons donc que l’Etat, s’il ne permet aux Compagnies de se protéger elles-mêmes, et vont cependant étendre l’impôt indigène, est moralement tenu d’organiser immédiatement une police conforme aux besoins du pays.
Cette police, répétons-le avec insistance, sera toujours un leurre, si les cadres européens n’en sont suffisans pour que tout détachement soit commandé par un blanc, officier ou sous-officier : or, sous des climats évidemment très durs, comme celui du Congo équatorial, le blanc sent sa vigueur s’amortir et ses forces morales s’atrophier, pour peu qu’il demeure au-delà des limites de la prudence, deux ans au plus. Le personnel des administrateurs, civils ou militaires (et nous en dirons autant de celui des concessions), sera donc assez nombreux pour que s’établisse un roulement tutélaire ; c’est ainsi qu’avaient procédé, pour tous les postes de direction, les très compétens fondateurs du chemin de fer du Congo belge. Nous ne rayonnerons pacifiquement parmi les indigènes que si nous sommes partout représentés par des agens d’élite, non fourbus par un séjour démesuré. Sur un sol où sa physiologie lui interdit d’enraciner sa vie, l’Européen est naturellement porté à une action rapide, il pense à gagner promptement, à résoudre vite les questions posées autour de lui, et s’inquiète au minimum de ce qui se passera