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n’est pas encore possible de le percevoir en numéraire ; ils spécifient que ce refus n’est pas une raison suffisante pour excuser une répression, et qu’il faut réprimer seulement lorsque les noirs se seront délibérément portés à des actes d’hostilité. Ce sont là des principes très humains, mais dont l’application au Congo réclame des fonctionnaires de premier choix : l’administration, en pénétrant peu à peu dans la forêt où s’étaient établis déjà les concessionnaires, se présentait aux indigènes comme apportant des exigences tout à fait nouvelles pour eux. Lorsque les noirs arrivaient auparavant dans les factoreries, avec leur caoutchouc, ils savaient qu’ils recevraient en échange des objets divers, qui excitaient leur convoitise ou leur curiosité ; aux agens de l’État, il fallait donner du caoutchouc sans rien recevoir. On déconcertait ces primitifs en leur demandant un impôt, c’est-à-dire un effort en échange de services généraux qu’ils ne comprennent pas.

Aussi fallut-il, avant d’obtenir du contribuable noir une docilité définitive, de longues préparations, d’interminables palabres, où s’usèrent parfois les patiences les plus résolues. Au moment où il s’efforçait d’étendre l’impôt indigène qui a rapporté net environ un demi-million de francs en 1906, le commissaire général n’avait sous la main qu’un très petit nombre d’agens européens. On n’aurait pas admis, en France, qu’il chargeât les sociétés concessionnaires de percevoir l’impôt indigène : il envoya donc auprès des tribus, sous le nom d’agens politiques, des miliciens noirs, ordinairement d’anciens tirailleurs sénégalais. Ces indigènes, aux ordres de chefs blancs qu’ils respectent et qui les connaissent bien, sont des soldats merveilleux, courageux au feu, durs à la fatigue, prompts à l’action et pourtant disciplinés. Laissés à eux-mêmes, et surtout investis d’une autorité administrative sans contrôle, ce sont de terribles pirates, très redoutés des noirs de la forêt. On a vu des miliciens isolés, forts du seul prestige de leur fusil et de leur semblant d’uniforme, imposer des corvées pénibles à vingt ou trente hommes tremblans devant eux. Ce ne sont pas des auxiliaires de ce genre qui rehaussent beaucoup au Congo la gloire du nom français, et facilitent le rapprochement entre nos commerçans et les indigènes : leurs exactions, au contraire, détournent ceux-ci de nous, en leur laissant croire qu’elles sont approuvées, sinon commandées par les blancs.