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Ces divertissemens se déroulaient dans le château que chacun connaît. Il avait pour déversoir un second château, dit le Château neuf, dont il ne reste que le Pavillon Henri IV. Louis XIV se trouvait néanmoins à l’étroit à Saint-Germain ; les « trois reines » prenaient de la place, bien que Mme de la Vallière et Mme de Montespan fussent un peu l’une sur l’autre dans le vieux château. D’autre part, le Roi avait déjà le projet, né de sa rancune contre la Fronde et qu’il considérait certainement comme l’une des grandes idées du règne, de rendre sa noblesse impuissante et inoffensive en la domestiquant, tout entière, sous son toit, à portée constante des yeux et de la voix. Saint-Germain ne s’y prêtait pas. Versailles, construit tout exprès, s’y prêtera.

Au début de février 1672, une indisposition de Madame fit mesurer aux moins perspicaces ses progrès dans l’affection du Roi. Il avait été le premier à s’apercevoir qu’elle était incommodée : « Que vous avez donc mauvaise mine[1], » disait-il, et il s’empressait, lui tâtant le pouls et la tête, et se joignant à Monsieur pour l’envoyer coucher. Ce n’était qu’une indigestion, juste châtiment d’avoir mangé deux soirs de suite « à ne plus pouvoir remuer, » et on aurait pu laisser agir la nature, qui ne s’en faisait pas faute, rapporte Madame avec détails à l’appui ; mais les médecins voulurent s’en mêler, et nous sommes au temps de Molière. Ils trouvèrent une malade déterminée à ne pas se laisser faire, d’où une première scène qui rappelle la course des apothicaires dans Monsieur de Pourceaugnac, et à laquelle le Roi mit fin en arrachant à Madame, à force de prières, la promesse de se soumettre à son sort. Ils voulurent ensuite la saigner : « Madame a refusé, dit une dépêche du nonce au Saint-Siège[2], déclarant que son père l’avait prévenue que les médecins de Paris tuaient leurs malades par l’abus de la saignée. » Elle refusa avec la même énergie de prendre une médecine : « Ne sachant plus que faire de moi, le Roi et Monsieur décidèrent de me tenir chacun par un bras… et de me faire saigner de force. » Une crise inattendue leur fit abandonner leur projet ; mais la cour de France avait vu le grand Roi faire fonction de garde-malade — comme au temps où il soignait sa mère — autour du lit du petit laideron allemand.

  1. Lettre du 4 février 1672 à Mme de Harling, l’ancienne Mlle Uffeln, gouvernante de la princesse Liselotte.
  2. Dépêche du 5 février 1672. — Archives du Vatican.