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252 000 livres pour chacun an, pour l’entretien de la maison de madame Dame duchesse d’Orléans, à prendre en son trésor royal[1]… » Dix ans auparavant, une pièce toute pareille — sauf la date — avait accordé exactement la même pension à Henriette d’Angleterre.

Le 7 également, le nouveau couple vint s’établir au Palais-Royal pour présenter Madame aux Parisiens. Toute la ville accourut la saluer, avec des nuances savantes, selon le titre, le rang, la charge, ou les prétentions de chacun. Des gens n’étaient venus qu’après avoir négocié avec Monsieur ; d’autres le fâchaient en usurpant un geste auquel ils n’avaient pas droit. Les corps constitués et les personnages officiels débitaient des harangues compassées. L’ambassadeur de la république de Venise fut si content de la sienne, qu’il en écrivit longuement à son gouvernement. Il avait dépeint la « sincère » impatience avec laquelle Leurs Excellences de Venise attendaient de Monsieur une abondante « progéniture » de « héros, » et Monsieur en avait accepté l’augure avec un « contentement extrême[2]… »

De temps à autre, on faussait compagnie à la foule pour montrer à Madame Paris et ses environs : la place Royale et sa célèbre « promenade ; » les appartenons du palais des Tuileries ; l’abbaye du Val-de-Grâce, riche en souvenirs d’Anne d’Autriche ; Saint-Cloud, « le plus bel endroit qui soit au monde, » répétait Madame ; Versailles, où Louis XIV plantait et bâtissait sans relâche, et sans dire pourquoi. On revint ensuite à Saint-Germain, où commença une féerie qui se prolongea jusqu’au carême. Mme de Sévigné écrivait le 13 janvier 1672 : « Il y a tous les jours des bals, des comédies et des mascarades à Saint-Germain. Le Roi a une application à divertir Madame, qu’il n’a jamais eue pour l’autre. » L’amitié grandissait des deux côtés. Louis XIV saisissait d’ailleurs tous les prétextes de multiplier les fêtes. Les plaisirs forcés faisaient partie de son système de gouvernement ; tandis que les courtisans dansaient ou s’ingéniaient à inventer des déguisemens, ils ne s’occupaient pas de politique, et c’était autant de gagné. Le Roi venait s’assurer de ses propres yeux qu’il était obéi et que sa Cour travaillait à s’amuser ; puis, s’il avait mieux à faire, il s’en allait.

  1. Archives nationales. K 542.
  2. Relations des ambassadeurs vénitiens. — Italien ; 1872, p. 119. Mss. B. N.