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reléguée par son mariage avec un prince français. Plus on appuyait sur ses souffrances, plus le contraste s’accusait, et plus l’incompatibilité devenait évidente. Mon dessein n’est pas d’entrer dans une discussion sur les droits comparés de la patrie et de la vérité ; il suffit d’avoir indiqué que c’est ici un cas où ceux de la vérité ont pâti. Madame a eu en France — on en verra les témoignages en leur lieu — une existence mêlée de bon et de mauvais, comme la plupart des êtres humains. Il nous semble aujourd’hui, à cause du déclin de l’idée monarchique, que le mauvais fut plus mauvais que le bon ne fut bon ; les contemporains de Madame en jugeaient différemment, d’après des élémens qui commencent à nous échapper. L’Electrice Sophie, si maternelle pour sa nièce, écrivait au plus fort des chagrins de celle-ci : « Madame a aussi des tribulations… mais dans le poste où elle est, il me semble qu’il y a de quoi se consoler[1]. »

Les premières années furent heureuses. Le plus difficile aurait dû être de prendre son parti d’être la femme de Monsieur. Ce fut au contraire le plus facile ; les mœurs de ce prince laissèrent Madame indifférente. Les compagnons de débauche de Monsieur l’offusquaient parce qu’ils étaient souvent méchans et dangereux, et qu’ils dévoraient l’argent de la maison. Leur dépravation la touchait si peu, qu’elle n’aurait demandé qu’à bien vivre avec ce vilain monde, et à convaincre son époux, toujours inquiet, qu’elle ne solliciterait jamais du Roi le mot qui l’en délivrerait : « J’ai beau faire de mon mieux, écrivait-elle à l’Electrice Sophie, pour lui montrer que je ne veux aucun mal à ces garçons, que je cause amicalement et poliment avec eux, je ne parviens pas à le rassurer[2]. » Il avait tort. Ce qu’elle en faisait était si sincère, si peu par politique, que nous la verrons, lorsqu’elle aura une fille à marier, désirer passionnément pour gendre un prince aussi pourri de vice que Monsieur, et insister sur son « estime » pour lui.

En revanche, on ne peut que louer sans, réserve sa perspicacité et son bon sens dans une question où il ne s’agit plus de vice, mais de crime. Monsieur avait-il empoisonné sa première femme ? Saint-Simon rapporte que Louis XIV avait pris soin de

  1. Lettre du 4 juin 1688, au raugrave Carl-Lutz (Publicafionen aus den K. Preussischen Slaatsarchiven ; Briefe der Kurfürstin Sophie von Hannover an die Raugräfinnen und Raugrafen zu Pfalz, éd. par E. Bodemann (Hirzel, 1888, Leipzig).
  2. Du 17 janvier 1697.