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compassion les aurait aidés à se supporter mutuellement ; mais il ne fallait pas leur demander des façons de sentir aussi réfléchies.

Liselotte continuait à hurler sur la route de Metz à Châlons. Monsieur, sur la route de Paris, souriait au bel effet de ses livrées neuves. C’était pour lui la grande affaire : « Vous comprenez bien, écrivait Mme de Sévigné, la joie qu’aura Monsieur de se marier en cérémonie[1]. » Tout le monde le comprenait, jusqu’au nonce du Pape, qui ne crut pas pouvoir se dispenser de revenir à plusieurs reprises[2], dans ses dépêches à Rome, sur la magnificence de l’équipage de Monsieur.

Ce prince fit son entrée solennelle à Châlons le 19 novembre. Le 21, ce fut le tour de Madame[3]. Les autorités les haranguèrent copieusement, l’évêque les remaria entre deux discours, et la ville célébra cet auguste événement par des réjouissances que Madame reconnaîtrait si son ombre repassait à Châlons, de nos jours, un 14 juillet. Rien ne change moins que les fêtes officielles. Liselotte reverrait les mêmes illuminations et entendrait les mêmes braillards avinés ; ils acclameraient autre chose, mais cela ne fait pas grande différence, dans le fond.

De Châlons, les mariés furent passer quelques jours à leur château de Villers-Cotterets[4], et leur petite cour se hâta de faire part de ses impressions à Paris et à Saint-Germain. Mme de Sévigné en reçut les échos au fond de sa Bretagne : « (Aux Rochers, 2 décembre)… On dit que la nouvelle Madame n’est point du tout embarrassée de la grandeur de son rang. On dit qu’elle ne fait pas cas des médecins et encore moins des médecines. On vous mandera comme elle est faite. Quand on lui présenta son médecin, elle dit qu’elle n’en avait que faire, qu’elle n’avait jamais été ni saignée ni purgée : que quand elle se trouvait mal, elle faisait deux lieues à pied, et qu’elle était guérie. Lasciamo la andar, che fara buon viaggio. »

Le 27 novembre, Madame eut l’honneur de recevoir le Roi à Villers-Cotterets. Elle ne hurlait plus. Elle n’était pas intimidée. Le Roi fut conquis d’emblée par sa franchise savoureuse et son bon rire : « Il en revint si charmé, écrit la Grande

  1. Du 16 août 1671.
  2. Dépêches du 23 octobre au 20 novembre 1671 (Archives du Vatican).
  3. Recueil des Gazettes, nouvelles ordinaires et extraordinaires, etc., n° 143, p. 1145 (Paris, 1672).
  4. Le château de Villers-Cotterets appartenait à Monsieur. Il est situé au milieu d’une forêt, à huit lieues de Soissons.