Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/813

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendait compte et désirait que le projet de sa belle-sœur réussît ; ce mariage pouvait servir de paratonnerre au cas d’une brouille avec la France.

Il fallut près d’un an pour y amener l’un après l’autre Monsieur, ses favoris, qui ne voulaient pas d’une princesse « sans le sol, » et le roi Louis XIV. Le 7 août 1671, la Palatine écrivit enfin : « C’est à ce coup, monsieur, que le mariage de Liselotte avec le Duc d’Orléans est absolument fait, si vous le voulez. Monsieur le veut, et le roi de France y a donné un plein assentiment… Le seul obstacle est la religion… » Une Duchesse d’Orléans ne pouvait être que catholique, et Charles-Louis n’osait pas donner son approbation à la conversion de sa fille ; il redoutait la colère de son peuple, pour qui la haine de Rome était le commencement de la piété. La Palatine lui suggéra un expédient. Il fut convenu entre eux que Liselotte abjurerait secrètement, et que son père jouerait la surprise et le mécontentement lorsque la chose se découvrirait. La jeune princesse se prêta à la comédie.

Ses sentimens, au cours de ces longues négociations, sont ce que nous connaissons le moins. On s’en occupait peu. Elle ne cachait pas qu’elle se mariait à contre-cœur : « Il est bien vrai, écrivait-elle longtemps après, que je suis venue en France par pure obéissance à Sa Grâce monsieur mon père et à mon oncle et ma tante de Hanovre ; car ce n’était rien moins que mon inclination[1]. » Elle avouait aussi que le regret amer de quitter sa chère Allemagne entrait pour beaucoup dans sa répugnance. Se mêlait-il quelque inquiétude à son regret ? Fut-elle mise au courant de ce qui se disait de Monsieur et qu’en pensa-t-elle ? On l’ignore. En revanche, il est certain que l’abjuration la laissa assez indifférente. Son père avait toujours veillé à ce qu’on lui donnât une religion « vague et tiède » qui ne pût jamais lui devenir une gêne, et elle était habituée à l’idée qu’une conversion est une affaire. On possède une lettre où elle s’étonne que certain duc de Brunswick se soit fait catholique, car, dit-elle naïvement, « cela ne lui rapportera pas un sol[2]. » Quand son père lui parla de se convertir, elle craignit les jugemens du monde si elle « changeait de religion seulement pour avoir un mari[3], »

  1. Lettre du 9 novembre 1719 à la raugrave Louise.
  2. Lettre du 3 avril 1710, à la raugrave.
  3. Charles-Louis à la Palatine, le 31 juillet 1671.