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au contraire donnait à tous l’exemple du courage. Il cumulait ses fonctions de directeur avec celles de secrétaire perpétuel, car Marmontel, qui avait remplacé d’Alembert, lui aussi avait pris peur. Abandonnant sa belle maison de Grignon et son logement du Louvre, il était parti un beau jour, avec sa femme et ses enfans, marchant devant lui, sans trop savoir où il s’arrêterait et avait fini par se cacher dans un petit hameau de Normandie.

Cependant le danger se rapprochait tous les jours. On devait, à l’anniversaire du 10 août, proclamer solennellement la Constitution de 1793, et le bruit courait qu’il fallait détruire définitivement les académies « pour que la république universelle, en faisant son entrée dans le monde, ne fût pas exposée à rencontrer des institutions contraires à ses principes. » Dans le courant de juillet, un décret de la Convention avait ordonné la destruction de tous les insignes de la royauté, couronnes, fleurs de lys, écussons, armoiries, etc. Les ouvriers, au Louvre, s’étaient mis à la besogne, et de la salle où siégeait l’Académie, on les entendait qui, dans les appartemens voisins, mutilaient les boiseries, barbouillaient les tableaux de Rigaud et de Lebrun, effaçaient les inscriptions, arrachaient les tentures. Elle n’avait donc pas un moment à perdre pour mettre ce qui lui appartenait à l’abri de ces profanations. Elle possédait une petite bibliothèque, des archives et une centaine de portraits de ses anciens membres. Elle abandonna la bibliothèque, qui pouvait toujours être remplacée. Quant aux portraits, comme elle ne pouvait pas songer à les enlever ouvertement du Louvre, on se contenta de les entasser dans une des tribunes réservées au public pour les réceptions, et Morellet garda la clé dans sa poche. La cachette était bonne, car ils y sont restés dix ans sans que personne songeât à les aller prendre[1]. Les archives avaient plus d’importance et couraient plus de risques. On en mit à part ce qui parut le plus précieux, entre autres les lettres patentes de la fondation, signées par Louis XIII et par Richelieu, les trois volumes des procès-verbaux, les cinq registres qui constataient les présences des membres de 1673 à 1793, et Morellet les emporta. C’était un acte d’audace qui pouvait lui coûter cher, mais il déclara qu’il prenait le danger pour lui. Cela fait, il ne leur restait plus qu’à se séparer. Le 5 août, ils se réunirent encore ;

  1. Ils sont aujourd’hui au musée de Versailles.