misérables héros ! » On voit que la lutte entre les deux grands rivaux qui se sont disputé le siècle a duré jusqu’à la fin, et il n’est pas interdit de penser que la passion des Jacobins pour Rousseau les ait mal disposés pour l’Académie, qui leur semblait être, comme ils disaient « la séquelle de Voltaire. »
Quoi qu’il en soit des causes de ce revirement de l’opinion qui, après tant de marques d’estime et de reconnaissance prodiguées à l’Académie, se retourna contre elle, ce qui ne peut être contesté, ce qui cause une très grande surprise, c’est la rapidité avec laquelle il s’est accompli. Du reste, il en a été de même pour presque toutes les institutions anciennes ; elles ont succombé à la première attaque, sans s’être défendues, et il me semble que la raison n’en est pas difficile à trouver. Quoique le pays fût despotiquement gouverné, il y régnait en réalité une grande liberté d’opinions. Les sévérités dont la loi était armée, et dont elle usait par momens, n’empêchaient pas de dire ce qu’on pensait et même, avec quelques précautions, de l’écrire. L’autorité enfermait quelquefois les écrivains trop audacieux à la Bastille ; mais ils n’y restaient guère, et ils en sortaient avec une auréole. Les livres les plus hardis se vendaient ouvertement ou en cachette. Les efforts de la police pour empêcher les brochures de circuler ne servaient qu’à les faire payer plus cher. « Le premier jour, dit Grimm de l’une d’elles, elle fut vendue six sols ; le soir elle valait six francs ; le lendemain, on en donnait deux et trois louis. » Il est vrai que ces bruyantes discussions n’aboutissaient pas à des résultats pratiques et qu’elles n’amenèrent aucune réforme sérieuse. Mais il semble que l’opposition, loin d’en être découragée, n’en soit devenue que plus téméraire, voyait qu’elles n’avaient pas de conséquences immédiates. Ne peut-on pas dire aussi que, si elle a entraîné à sa suite tant de grands personnages qui jouissaient des privilèges et profitaient des abus dont on se plaignait le plus, c’est qu’ils savaient bien qu’ils pouvaient se donner impunément la réputation de les combattre et qu’ils ne risquaient pas de les voir supprimés ? Ce jeu pourtant était dangereux ; cette manie de railleries et de critique a déconsidéré tout l’ancien régime. Les assauts d’un siècle entier l’avaient tellement affaibli qu’à la première attaque sérieuse, tout a croulé à la fois. C’est grâce à cette lente préparation que la Révolution a pu si facilement réaliser son programme radical. Ce programme, qui ne laissait rien subsister du passé, qui entendait détruire une