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on s’aperçoit avec quelque surprise que c’est peut-être à Voltaire qu’elle doit imputer en partie le discrédit où elle est si brusquement tombée.

La Révolution avait songé tout d’abord à témoigner sa reconnaissance à ses deux grands précurseurs, Voltaire et Rousseau, auxquels elle avait raison d’attribuer sa victoire. Elle commença par Voltaire, ce qui était juste. Des deux, il avait été le plus maltraité à sa mort. Les prêtres lui avaient refusé une sépulture ; il avait fallu l’emporter en toute hâte de Paris, et l’ensevelir pendant la nuit comme un criminel, dans une abbaye du voisinage. On lui devait une réparation. L’Assemblée nationale décida qu’on irait chercher ses restes à l’abbaye de Sellières pour les amener au Panthéon. Ce fut une belle fête, comme on les aimait alors. Le 11 juillet 1791[1], sur un char de forme antique, dessiné par David, qu’ombrageaient des branches de laurier et de chêne, entrelacées de roses, de myrtes et de fleurs des champs, Voltaire fut promené dans Paris, au chant des hymnes, au bruit des acclamations populaires. On pense bien que l’Académie française faisait partie du cortège. C’était, suivant l’expression même de nos Registres, « la famille littéraire de Voltaire ; » elle entourait le char, mêlée à sa famille véritable. C’est la dernière cérémonie publique à laquelle elle ait assisté. Le tour de Rousseau vint beaucoup plus tard. Il reposait à Ermenonville, dans l’île des peupliers, un site pittoresque, qui lui convenait à merveille et que les âmes sensibles aimaient à visiter ; d’ailleurs M. de Girardin, qui l’avait recueilli quand il était sans asile, tenait à garder son hôte. On résolut pourtant, vers le milieu de 1794, quelque temps avant le 9 thermidor, de le transférer lui aussi au Panthéon. La cérémonie eut lieu le 11 octobre. Dans le cortège figuraient des botanistes, portant des fleurs, des plantes, des fruits, qui symbolisaient l’amour de Jean-Jacques pour la nature, des ouvriers, avec leurs instrumens de travail, en souvenir de l’éducation d’Emile ; des mères, qui donnaient le sein à leurs nourrissons. Les deux grands hommes, de leur vivant, ne pouvaient pas se souffrir ; on espéra qu’on ferait

  1. La cérémonie devait avoir lieu le 10 juillet. On fut obligé de la renvoyer au lendemain à cause du mauvais temps. Royou raconte que, dans sa lettre à l’Assemblée nationale, pour lui annoncer ce retard, le procureur syndic du département « témoignait de son dépit contre la basse jalousie du ciel aristocrate, qui, pour retarder le triomphe du grand homme, rival et vainqueur de la divinité, versait des torrens de pluie. »