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compliquer ces dissensions. L’Académie, qui aurait pu se désintéresser d’un débat qui n’était pas de sa compétence, s’en mêla pourtant avec ardeur. Marmontel, picciniste fervent, avait composé un poème où ses adversaires étaient fort malmenés et le colportait dans le monde. « Qu’il le publie, dit Suard, l’un des chefs du parti contraire, et je lui casserai la figure[1] ! »

Il faut remarquer pourtant que malgré les incompatibilités de tempérament, les jalousies de métier, les rivalités d’amour-propre, qui divisaient les hommes de lettres de l’Académie, pour l’essentiel, c’est-à-dire pour les opinions religieuses et politiques, il n’y avait pas entre eux de grandes diversités. Depuis le milieu du siècle, ils se recrutaient dans le même parti, celui qui demandait des réformes et appelait de ses vœux un gouvernement qui accordât aux citoyens plus de tolérance et de liberté. Aussi les regardait-on, dans un certain milieu, comme de dangereux révolutionnaires. Souvenons-nous que Suard et Delille ont paru un moment des séditieux, et que le roi Louis XV a refusé, pendant plusieurs mois, de confirmer leur élection. La plupart de leurs confrères avaient publié des ouvrages qui scandalisaient les personnes bien pensantes, et quelques-uns s’étaient fait de méchantes affaires avec la magistrature et la Sorbonne. Tous appartenaient à l’intimité de Voltaire ; ils avaient été chercher leur consécration à Ferney. Le patriarche les appelait ses enfans et leur écrivait des lettres flatteuses, où il les traitait sans façon comme des hommes de génie. L’Académie semblait s’être mise tout à fait sous son patronage. On le vit bien à la manière dont elle le reçut, lorsque, après une longue absence, il revint à Paris en 1778. On peut dire que, grâce aux honneurs dont elle entoura ses derniers jours, il y est mort dans une apothéose. Il semble que ce souvenir aurait dû la protéger ; on pouvait croire qu’au moment où les idées de Voltaire triomphent définitivement dans la société française et commencent à se traduire dans des institutions nouvelles, la compagnie qui les avait soutenues et propagées deviendrait plus populaire que jamais. C’est justement le contraire qui est arrivé, et je crois bien qu’en regardant de près

  1. À propos de ce même poème, l’abbé Arnaud, qui était aussi de l’Académie, et l’un des chefs des glückistes, écrivit l’épigramme suivante :

    Ce Marmontel, si long, si lent, si lourd,
    Qui ne parle pas mais qui beugle,
    Juge la peinture en aveugle.
    Et la musique comme un sourd.