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contagieux ; il tente toutes celles qui se piquent de tenir un salon renommé. Elles ont toutes leurs beaux esprits attitrés qu’elles poussent vers l’Académie. Mme de Chaulnes fait les visites pour son ami, quelques-uns disent pour son amant, l’abbé de Boismont ; Mme de Luxembourg exige impérieusement qu’on choisisse M. de Boissy « pour décorer sa société. » Et quand par malheur on ne vote pas pour les protégés de ces dames, elles ne se possèdent plus de colère. La duchesse de Gontaut, qui tenait beaucoup à l’élection de Ramsay, l’ami de Fénelon, s’en prenait de son échec à d’Olivet, qui s’était engagé à le soutenir et qui avait manqué à sa parole. D’Olivet lui adressa, pour l’apaiser, des excuses assez pileuses, auxquelles la duchesse répondit par des impertinences. Les deux lettres coururent le monde qui en rit de bon cœur[1].

C’étaient assurément des intrigues fort mesquines, et l’on avait raison de s’en moquer. Elles ont pourtant l’avantage de nous montrer que toutes les railleries par lesquelles on essayait de déconsidérer l’Académie n’empêchaient pas qu’on souhaitât passionnément d’en être. L’empressement qu’on témoignait pour elle scandalisait ceux qui ne l’aimaient pas et ils éprouvaient quelque embarras à s’en rendre compte. Pour lui trouver un prétexte plausible, ils l’attribuaient aux caprices de la mode. La mode, « souveraine absolue chez une nation sans principes, » faisait un devoir aux gens de lettres un peu distingués de se faire admettre à l’Académie. C’était, disait-on[2], une manière d’avoir un état, et un homme sans état était presque alors un homme sans aveu, c’est-à-dire exposé à des vexations de toute sorte. On n’y pouvait échapper qu’à la condition de tenir à des corps, à des compagnies ; « car là où la société générale ne nous protège pas, il faut bien être protégé par des sociétés particulières ; là où l’on n’a pas de concitoyens, il faut bien avoir des confrères ; là où la force publique n’était souvent qu’une violence légale, il convenait de se mettre en force pour la repousser. Quand les voyageurs redoutent les grands chemins, ils se réunissent en caravanes. » Heureusement tout va changer. On se

  1. Les récits de ces intrigues électorales se retrouvent dans la Correspondance de Grimm et les Mémoires du temps. Je me suis beaucoup servi des Porte-feuilles du président Rouhier, qui ont été très bien publiés par le prince Emmanuel de Broglie.
  2. Je reproduis l’opinion de Chamfort, dans son Discours sur les Académies.