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qu’on voulait parler. Cette situation qu’elle occupait dans l’opinion publique devait naturellement lui faire beaucoup de jaloux, elle en eut presque avant de naître, lorsqu’elle n’existait qu’en projet, elle n’avait pas encore obtenu l’approbation du Parlement, que les beaux esprits et les poètes de ruelle, dont elle n’avait pas voulu, la criblaient de leurs épigrammes. On écrivait contre elle, sans même savoir exactement son nom, des pamphlets et des comédies[1]. Elle avait eu le bon esprit de décider, dès le premier jour, qu’elle ne répondrait pas à ces attaques ; et, en parcourant ses Registres, je ne vois qu’une seule occasion où elle ait manqué à la sage résolution qu’elle avait prise[2]. En 1728, elle apprit qu’un candidat plusieurs fois malheureux, le poète Roy, connu surtout par des libelles haineux, en avait fait un contre l’Académie, « qui passait les autres par l’atrocité des calomnies, » où il diffamait la compagnie en général et prenait à partie plusieurs de ses membres, et que non seulement il l’avouait et le faisait courir, mais le lisait à tous ceux qui voulaient l’entendre. Elle perdit patience et adressa ses plaintes au cardinal de Fleury qui fit mettre Roy à Saint-Lazare. Il n’était pas corrigé quand il en sortit, car, à quelque temps de là, il s’en prit au comte de Clermont, un prince du sang, qui était aussi de l’Académie. Mais cette fois, l’affaire eut des suites plus graves. Le prince n’était pas endurant ; il chargea de sa vengeance un nègre, qui s’en acquitta si consciencieusement que le malheureux, roué de coups, ne survécut pas à la bastonnade ; — il est vrai qu’il avait quatre-vingt-un ans.

On pense bien que cette satisfaction que l’Académie se donna de punir l’un de ses ennemis n’a pas désarmé les autres, et, par malheur, c’étaient les railleurs les plus redoutés de l’époque, Piron, Linguet, Fréron, Palissot, Rivarol. Dans ce siècle, où l’on se moque de tout, l’Académie devient un sujet ordinaire de plaisanteries. Elle ne peut rien faire qu’on ne la tourne en ridicule. On blâme les sujets de prix qu’elle propose ; quand le prix est donné et qu’on réunit le public, à la Saint-Louis, pour lire l’ouvrage couronné, on ne manque pas de déclarer qu’il est pitoyable. On discute le mérite des candidats qui demandent les places vacantes, et, quand elle a fait son choix entre eux, on trouve toujours qu’elle a pris le plus médiocre. Ce qui cause quelque

  1. Voyez la Comédie des académistes, de Saint-Evremond.
  2. Les Registres de l’Académie française, 11, 242.