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sûreté, une dextérité qu’on ne saurait trop admirer. A cet égard, les articles sur les Époques de la comédie de Molière, sur l’Éloquence de Bourdaloue, sur Une nouvelle édition de Montaigne sont des chefs-d’œuvre. J’aime moins l’article sur la Maladie du burlesque, qui est, à mon gré, un peu trop systématique, et, çà et là même, quelque peu paradoxal. Mais, dans le Montaigne et le Bourdaloue, quelle connaissance approfondie du sujet et des « alentours, » quelle justesse originale et quelle vivacité d’impressions, quelle précision d’information et quelle richesse de vues générales, quelle rapidité de coup d’œil et quelle promptitude heureuse de décision critique, quelle vigueur entrante et quelle subtilité d’analyse, quelle ingéniosité enveloppante et quel art de composition et de construction, quelle abondance verbale enfin et quelle puissance de formulation !… En critique, il n’y a rien au-delà. De telles pages sont d’un grand maître. Il disait un jour, en parlant de Vinet, que « nos jugemens nous jugent nous-mêmes, et que bien parler de quelques hommes extraordinaires, c’est, pour ainsi dire, se mettre un peu de leur famille. » Le mot est juste, et il s’applique entièrement à lui.

Et l’on voit combien se trompent ceux qui prétendent qu’en descendant dans la mêlée contemporaine, en prenant fortement parti dans les questions sociales, philosophiques ou religieuses qui nous passionnent et nous divisent, Ferdinand Brunetière a compromis son autorité littéraire, diminué ou dégradé son œuvre et son talent de critique. C’est, je crois, exactement le contraire qu’il faudrait dire. Il y a déjà quelque temps de cela, un homme politique contemporain, M. Joseph Reinach, dans une Préface dont il faisait précéder un recueil posthume d’articles d’un de ses amis, le théologien protestant Colani, observait que les études théologiques donnent généralement à l’esprit une vigueur, une pénétration qui le rendent éminemment propre à la critique ; et il citait à ce propos l’exemple de Ferdinand Brunetière qui devait, selon lui, la haute autorité critique qu’on lui reconnaissait à la solide culture théologique qu’il avait acquise dans la pratique des grands écrivains du XVIIe siècle. L’observation était fine, et elle s’applique particulièrement au critique des dernières années. On ne se nourrit pas en vain de « cette moelle des lions, » — le mot est encore de M. Reinach. Même au point de vue proprement critique et littéraire, l’auteur des Discours de combat n’a rien perdu, et il a certainement gagné à « refaire son éducation religieuse, » à chercher et à trouver un fondement solide pour ses croyances morales. Pour n’en citer qu’un seul exemple, emprunté