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mènent les choses publiques, croyez-vous qu’on ne soit pas parfaitement convaincu qu’elles réussissent précisément par les mêmes moyens qui font réussir dans la vie privée ; que le courage, l’énergie, l’honnêteté, la prévoyance, le bon sens sont les véritables raisons de la prospérité des empires comme de celle des familles et qu’en un mot, la destinée de l’homme, soit comme individu, soit comme nation, est ce qu’il la veut faire ? Je m’arrête ici ; permettez, je vous prie, que nous en restions là de cette discussion. Nous sommes séparés par un trop grand espace pour que la discussion puisse être fructueuse. Il y a un monde intellectuel entre votre doctrine et la mienne. J’aime donc bien mieux en venir à ce que je puis louer sans restriction. Malheureusement, bien que je n’aie pas été moins vivement impressionné dans ce sens que dans l’autre, je suis obligé d’être beaucoup plus court, parce que je ne puis entrer dans le détail de ce que j’ai approuvé ; mais, en gros, je vous dirai que ce livre est, de beaucoup, le plus remarquable de tous vos écrits ; qu’il y a une très grande érudition, autant que j’en puis juger, dans le rassemblement de tant de faits et un grand talent, une perspicacité rare, dans le parti que vous en tirez. Ceux qui approuvent votre idée mère ou qui désirent qu’elle soit vraie (et de nos jours, après les fatigues de ces soixante ans de révolution, il y en a beaucoup en France qui n’aspirent qu’à une pareille croyance), ceux-là doivent vous lire avec un véritable entraînement, parce que votre livre est bien construit, marche bien vers le but et y conduit avec un grand plaisir pour l’intelligence. Je vous ai prouvé ma sincérité dans la critique, croyez également à ma sincérité dans la louange. Il y a un vrai et très grand mérite dans votre œuvre, et elle vous met assurément à la tête et au-dessus de tous ceux qui ont soutenu des doctrines analogues.

Ayant écrit tout ceci très rapidement et avec une sorte de furia francese (je rentre ici dans votre système), j’ai la main fatiguée et je vous demande de terminer là. Ce n’est pas d’ailleurs un sujet qu’on puisse traiter par lettre. Il est trop compliqué et trop vaste ; mais nous en causerons abondamment quand nous nous verrons. Dites-moi seulement, si la presse s’est occupée déjà de vous ? Je reçois un journal anglais et un journal allemand (car je me suis mis bravement à apprendre l’allemand), mais j’ai fait l’économie des journaux français qui, comme je vous l’ai dit, je crois, me paraissent avoir résolu un problème