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plupart, n’y résident guère plus de quatre ou cinq ans, seront insuffisans à la constituer ; et c’est une perte pour la science et pour la France qui ne pouvait trouver un meilleur terrain où favoriser l’essor d’une lignée de médecins coloniaux aussi investigateurs que les docteurs indiens des Facultés anglaises.

Cette vie d’échange, de relations constantes entre Madagascar et la Réunion, eut avivé et développé les forces intellectuelles de celle-ci et l’eût forcée à réformer ce qu’il y a de routinier dans ses services. Cette collaboration fervente des deux colonies eût produit une activité dans l’entraînement de laquelle tous eussent été contraints, encore que par un libre jeu, de progresser. Mais l’on a élevé des barrières entre les deux îles : barrières douanières, frontières académiques. La Réunion, aux produits de laquelle on a fermé, depuis 1898, les portes de Madagascar, tandis que l’Angleterre ouvre toutes grandes celles de l’Inde aux sucres mauriciens, la Réunion a été en partie ruinée par la conquête de Madagascar où ses enfans ont versé leur sang sans compter ; Madagascar a son budget indéfiniment obéré pour avoir voulu trop tôt s’émanciper, non de la tutelle, mais d’une assistance de son aînée qui ne pouvait être gênante, puisqu’elle avait pour base nécessaire une mutualité de bons offices, et ce n’est pas seulement ses services d’administration, d’instruction et d’assistance qui sont entravés, mais son développement économique qui est compromis par la frénésie d’autodidactisme de ses directeurs d’agriculture et d’industrie. On a isolé Madagascar ; et, dans cette île isolée, la population emprisonnée, — à qui l’on a ôté le droit d’aller travailler dans les plantations des Mascareignes, d’où elle rapportait jadis de l’argent, quelque usage du français et la connaissance des principales cultures tropicales, — la population enrégimentée dans les écoles semble devoir se laisser de plus en plus atteindre de consomption, et on s’apercevra plus tard que le paludisme n’était peut-être pas le plus grave fléau dont il importait de la protéger : on épuise la race, l’ennui la gagne, et l’ennui est susceptible de désoler les Malgaches surmenés et étiolés comme il a démoralisé et désagrégé les populations canaques de nos établissemens d’Océanie.


MARIUS-ARY LEBLOND.