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Grande-Bretagne n’étaient point de la même race humaine que les Romains, et que tandis que ceux-ci étaient destinés par la nature à dominer le monde, les autres l’étaient à végéter dans un coin. Tu regere imperio populos, Romane, memento, dit notre vieille connaissance Virgile. Lorsque encore il s’agit de familles humaines qui, différant entre elles d’une manière profonde et permanente par l’aspect extérieur, peuvent se faire reconnaître à des traits distinctifs dans toute la suite des temps et être ramenées à une sorte de création différente, la doctrine, sans être à mon avis plus certaine, devient moins invraisemblable et plus facile à établir. Mais quand on se place dans l’intérieur d’une de ces grandes familles, comme celle de la race blanche par exemple, le fil du raisonnement disparaît et échappe à chaque pas. Qu’y a-t-il de plus incertain au monde, quoi qu’on fasse, que la question de savoir par l’histoire ou la tradition quand, comment, dans quelles proportions, se sont mêlés des hommes qui ne gardent aucune trace visible de leur origine ? Ces événemens ont tous eu lieu dans des temps reculés, barbares, qui n’ont laissé que de vagues traditions ou des documens écrits incomplets. Croyez-vous qu’en prenant cette voie pour expliquer la destinée des différens peuples vous ayez beaucoup éclairci l’histoire, et que la science de l’homme ait gagné en certitude pour avoir quitté le chemin parcouru, depuis le commencement du monde, par tant de grands esprits qui ont cherché les causes des événemens de ce monde dans l’influence de certains hommes, de certains sentimens, de certaines idées, de certaines croyances ? Encore, si votre doctrine, sans être mieux établie que la leur, était plus utile à l’humanité ! Mais c’est évidemment le contraire. Quel intérêt peut-il y avoir à persuader à des peuples lâches qui vivent dans la barbarie, dans la mollesse ou dans la servitude, qu’étant tels de par la nature de leur race il n’y a rien à faire pour améliorer leur condition, changer leurs mœurs ou modifier leur gouvernement ? Ne voyez-vous pas que de votre doctrine sortent naturellement tous les maux que l’inégalité permanente enfante, l’orgueil, la violence, le mépris du semblable, la tyrannie et l’abjection sous toutes ses formes ? Que me parlez-vous, mon cher ami, de distinctions à faire entre les qualités qui font pratiquer les vérités morales et ce que vous appelez l’aptitude sociale ? Est-ce que ces choses sont différentes ? Quand on a vu un peu longtemps et d’un peu près la manière dont se