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de fonctionnaires de passage et de réformateurs couvés dans les écoles de Paris, dont pas un n’a la connaissance innée de l’indigène, de la nature exacte de son intelligence, de ses besoins fonciers à long terme. Et il est d’autant plus urgent de considérer avec attention les singularités du régime scolaire à Madagascar et les théories sur lesquelles il s’étaie avec un souci de logique et une conscience qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. C’est là que se doit discuter délibérément l’importance de l’expansion de la langue nationale pour la prospérité et le résultat durable de la colonisation, pour la conservation de nos colonies. Et, par la même occasion, en ce moment où se pose avec plus d’acuité que jamais la question de l’avenir de nos grands établissemens, il n’est peut-être point de psychologie plus passionnante que celle du fonctionnaire colonial, — le pédagogue, — qui est le mieux armé par sa profession pour sonder l’âme indigène, mesurer les ressources de la race, et à qui incombe le plus le soin de prévenir le séparatisme.

Analysant les circulaires du général Galliéni, le dernier chef de service de l’Instruction publique, M. Deschamps, exposa, en les éclairant de comparaisons spécieuses, les considérations philosophiques très modernes qui lui font tenir pour dangereuse l’importance donnée à l’enseignement du français dans les écoles. « La connaissance de la langue française était considérée, ainsi qu’autrefois du temps des Romains le culte d’Auguste, comme une preuve de soumission… A l’examiner de près, c’est une étrange entreprise de vouloir substituer la langue française à une langue indigène quelconque… Il n’y a pas de peuple dans l’histoire qui ait abandonné l’usage de sa langue maternelle pour n’employer que celle de son vainqueur. L’exemple lointain de la Gaule n’est guère probant, car ce n’est plus le latin qui est parlé en France : en passant par les cerveaux gaulois et germains, le latin est devenu le français ; en passant par les cerveaux malgaches, la langue française se déformerait aussi ; avant que l’étude du français ait modifié la mentalité malgache, cette mentalité aurait modifié la langue française [souligné par M. Deschamps]… S’imaginer que le peuple qu’on élève va, subitement, quitter la voie qu’il suit depuis des siècles pour s’engager dans celle que suit le peuple éducateur, c’est se leurrer d’un espoir vain ; la force acquise le maintiendra dans la voie qu’il suivait. » Il semble déjà audacieux de comparer les