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vent, volontiers maraudeurs et nonchalans, mais avisés à l’heure favorable, opiniâtres et piqués d’amour-propre. On ne voit pas un seul pied d’avocat ou de fruit-à-pain dans les jardins d’instituteurs, alors que les vieux créoles en ont ombragé les profondes cours silencieuses de leurs maisons. Dans les vergers mêmes des écoles, les manguiers sauvages jettent avec surabondance des fruits âcres, sans qu’on songe à y opérer des marcottes qui en eussent fait les plus succulens. C’est par ces plantations profitables que nos pères excellaient à rendre savoureuse la vie aux îles, et fraîches et odorantes les premières résidences de leurs familles, de ces ombrages fortunés composant les berceaux d’une colonisation satisfaite et riante dont les éloges répandaient en France la réputation des Indes. La tâche coloniale n’était alors ni si sèchement universitaire, ni si déprimante.

Avec un utilitarisme exclusif, on plante dans les terrains d’écoles des mûriers ou des arbres à caoutchouc, encore qu’on se laisse assez rapidement décourager par la dépréciation en Europe de tel latex ou de telle liane. Dans l’abondance, la célérité, l’incertitude et, disons-le aussi, l’inconstance de ces diverses expérimentations, le but précis de l’administration se dénonce étroitement et fiévreusement pratique : l’effort considérable réalisé dans l’enseignement tend beaucoup moins à élever moralement les indigènes qu’à les adapter à l’évolution économique qu’entraînera le chemin de fer. Si, à l’époque où la voie atteindra Tananarive, les indigènes ne se trouvent pas formés militairement par les instituteurs à produire la soie comme à surproduire le riz, le chemin de fer ne fera pas ses frais et la métropole impatiente n’aura pas assez des voix des trois quarts de ses députés pour se plaindre amèrement d’avoir été dupée et d’avoir mal placé son argent dont elle exige un rapport immédiat. En principe, il n’y a nul mal à ce que l’école soit, pour dire franc, une entreprise financière, une école d’expériences industrielles, le gouvernement préparant les enfans en vue de deux ou trois grandes opérations, dont il ne recueillera pas les bénéfices en tant que patron, mais qui lui permettront seules de continuer à percevoir un certain total d’impôts, et d’autant plus qu’on y enseigne surtout à ne pas épuiser sauvagement les produits du pays. L’agriculture et l’industrie coloniales étant en pleine période de tâtonnemens, on ne peut demander à l’instituteur de remettre à l’élève un outil parfait et définitif, il suffit qu’il lui