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car plusieurs d’entre eux ont été décorés. En leur ensemble, et bien entendu, exceptis excipiendis, les missionnaires protestans font cause commune avec les indigènes contre l’Etat français, les cajolant et les plaignant d’avoir tant d’impôts à payer, parlant devant eux d’ « exploitation » et déclarant qu’ils étaient plus heureux sous leur Reine. Les évangélistes venus de nos riches départemens du Midi, souvent maladifs et voyant vivoter maigrement leurs familles malingres, sont aigris et fielleux, têtus et un peu hallucinés, ils restent comme héréditairement frappés de l’esprit de persécution, ce qui, sous un soleil dur, a affecté plus gravement encore leur mentalité ; ce sont des gens qui souffrent, à vous en donner le sentiment douloureux : ils se lamentent notamment de voir leur puissance diminuer, et parfois les pouvoirs publics usent vis-à-vis d’eux d’une arrogance inconvenante ; ils ont plus d’animosité que les catholiques contre les instituteurs officiels, et cela vient en grande partie de la persuasion intransigeante qu’ils ont de l’excellence de leur pédagogie.

Eux-mêmes ne sauraient nier qu’il y a contre les catholiques et les sceptiques, — c’est-à-dire contre tout le personnel français à Madagascar, — une solidarité étroite entre pasteurs des différentes confessions. Les plus accrédités sont des gens loyaux, et leur valeur a été reconnue par tous les Français : plusieurs, comme le géologue Baron et le paléontologue Standing, ont été nommés par le général membres de l’Académie de Tananarive ; mais ce sont aussi et avant tout des Vieux-Malgaches : ayant joui de la prédilection de la Reine, ils regrettent les temps anciens et, étant hardis et autoritaires, ils le disent, vous parlant avec le visage dur, les yeux nets, les mots brefs et âpres. Les autres, le plus grand nombre, sont sans instruction ni conscience ; ils ont un culte aveugle pour l’Angleterre, tous pleurent l’aisance et le repos dont ils jouissaient grassement avant la guerre, selon le rapport même de l’amiral sir Gore Jones sur Madagascar. On peut cependant observer, au voisinage de l’Itasy, que, dans leurs intérieurs riches, les luthériens coulent une existence abondante, se laissant construire ou donner par les indigènes ce dont ils ont besoin ; tout autour de Tananarive, les villages les plus modestes élèvent des temples luxueux. Ils se plaignent amèrement, mais on leur a laissé toute liberté de lever les subsides comme avant la guerre, et par là ils ne s’entendent point seulement à assurer