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exposer leurs idées, et chacune a la parole durant dix ou quinze minutes, sans distinction de rang. Les sujets étudiés ont toujours quelque rapport avec une question soulevée dans le mois, soit au syndicat, soit au secrétariat général, soit 5, l’atelier.

Mlle Rochebillard ne se cachait pas les critiques que certains lui adresseraient. Elle constituait des syndicats uniquement ouvriers, d’où elle excluait les patronnes, — à l’exception toutefois des petites patronnes qui occupent quatre ou cinq ouvrières, — pensant que les intérêts des grandes patronnes s’opposent à ceux de leurs ouvrières. En agissant ainsi, n’allait-elle pas creuser encore le fossé qui sépare les patrons des ouvriers ? En excluant les patrons, ne se privait-elle pas de l’appui pécuniaire qu’ils auraient pu apporter ? Mlle Rochebillard estimait que « lorsqu’on se retrouve sur la défense des intérêts particuliers à chacun, l’employée n’osera pas dire toute sa façon de penser, comme elle le devrait, devant l’employeur… Et si, dans les syndicats, on ne se retrouve pas uniquement entre personnes vivant de la même vie, subissant les mêmes épreuves, si les intérêts ne sont pas liés les uns aux autres, les syndicats n’ont plus autant raison d’être ; de plus, le charme, très nécessaire aux réunions, n’est pas le même : la fraternité est moins grande. Ce n’est plus la vie de famille comme celle que nous partageons, entre nous, dans nos syndicats lyonnais. Les nôtres sont pauvres, il est vrai, mais nous portons allègrement cette pauvreté, parce que nous estimons que contentement passe richesse, de sorte qu’au sortir de nos réunions syndicales, nous avons le sentiment très précis que nos organisations ont ce que j’appellerai une âme commune, que, partageant toutes les mêmes labeurs, nos intérêts sont les mêmes[1]. »

Voilà donc les syndicats organisés. Qu’ont-ils fait pour les ouvrières ?

Les syndicats, pour être forts, doivent se préoccuper de compléter l’instruction de leurs adhérens. Cette idée est chère à Mlle Rochebillard. Mais elle voulait compléter l’instruction des jeunes filles du peuple en les rapprochant des jeunes filles riches, et pour y parvenir, elle demanda aux jeunes filles riches de devenir les professeurs des jeunes filles du peuple. L’appel qu’elle adressa fut entendu. Dès la première année, elle réunissait deux

  1. Syndicats d’ouvrières lyonnaises, par Mlle L. Rochebillard, p. 10.