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même pas certaines de travailler tout le cours de l’année, car, la morte-saison dure longtemps, moitié de juin, juillet, août, moitié de septembre, et quelques semaines en hiver. Et si le chômage et la maladie sont un moindre mal pour une ouvrière qui vit dans sa famille, et dont la famille entière travaille, comment les supportera une ouvrière isolée qui, durant la bonne saison, gagne en moyenne 4 francs par jour ? Elle est renvoyée par son patron, ou employée à moitié prix. Mal logée, mal nourrie, sans ressources, et toujours sollicitée, comment, à moins d’être une sainte, pourra-t-elle résister, si elle est jolie, aux mirages de la galanterie. Elle aura commencé par diminuer sa nourriture, supprimer le petit déjeuner du matin. M. d’Haussonville, dans son livre Salaires et Misères de femmes, raconte qu’il en est qui, pour moins sentir la faim, demeurent au lit toute la journée. Comment ne se révolterait-elle pas contre le sort qui lui est dévolu ? À vingt ans, il est des plaisirs dont on n’accepte pas d’être privée : on veut vivre. Un soir, elle suivra le mouvement de son cœur et sera séduite ; des jours s’écouleront : abandonnée, elle deviendra une de ces demi-mondaines, dont elle a cousu les robes, trop heureuse encore si, dans son malheur, elle ne tombe pas plus bas et ne grossit pas la troupe des victimes que fait la traite des blanches. Encore si ce travail, qui rapporte si peu, était facile. On le croit généralement. L’aiguille, le dé, le fil, mots pimpans qui servent de thème à de poétiques et mensongers développemens ! L’atelier n’est pas un palais. Entrez une fois, chez un grand couturier, dans un de ces ateliers situés en haut de la maison ou sur la cour : assises autour d’une longue table, quinze ou vingt fillottes, jeunes filles et femmes, travaillent, dans une atmosphère étouffante et viciée par tant de respirations, la poussière, les microbes des étoffes et des draps ; vous ne vous étonnerez plus des visages pâlis des ouvrières parisiennes, de leurs joues creuses et de leurs yeux cernés. Le soir, à sept heures, bien souvent, au lieu de s’en aller, il faut rester : il y a des robes pressées à terminer… les clientes sont impatientes… il faut veiller… On mange sur le pouce un morceau de charcuterie, et l’on travaille jusqu’à onze heures, minuit, une heure du matin. Sans doute le législateur protège le plus qu’il peut la femme qui travaille : il a établi d’une manière fixe l’âge d’admission au travail, il a limité la durée du travail effectif, il a interdit le travail de nuit. Mais ces lois protectrices