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L’entreposeur continuait de se frotter les yeux. Comment, lui, le représentant des Fermes, achetait du « faux tabac » aux contrebandiers eux-mêmes ! Mandrin reçut ainsi la somme de 2 494 lb. 5 sols, dont il donna une quittance en bonne et due forme, signée de son nom.

Cette scène va se renouveler en cent endroits divers.

Comme il revenait pour rejoindre ses compagnons qui servaient la clientèle, Mandrin apprit, d’un bourgeois de la ville, que l’on avait saisi quelques jours auparavant à des contrebandiers cinq fusils et une grosse carabine, qui étaient déposés à l’Hôtel de ville.

Il en écrivit tout aussitôt à M. de Séguret, juge-mage et subdélégué, pour réclamer ces armes qui lui revenaient évidemment. Mandrin s’exprimait le plus honnêtement du monde, mais il croyait devoir prévenir M. le juge-mage que si, dans un temps raisonnable, il ne recevait pas la carabine et les fusils, il se verrait dans la nécessité de mettre le feu à sa maison. On rechercha les fusils, à l’Hôtel de ville, et comme il y en eut un qui ne se retrouva pas, M. de Séguret en fit acheter un autre chez un armurier, et, après que les armes eurent été astiquées proprement, elles furent remises au contrebandier.

Mandrin distribua ces fusils à ceux de ses compagnons qui en manquaient ; et il se trouva en avoir trois de trop. Qu’en faire ? Mandrin n’hésita pas. Il les fît porter au siège de la maréchaussée, c’est-à-dire à la gendarmerie, en demandant un billet de dépôt. Il les reprendrait à son prochain voyage.

Les brigands d’Offenbach ont eu de bien singulières et joyeuses inventions ; mais ils n’ont pas trouvé celle-ci : mettre leurs armes en dépôt chez les gendarmes.

Les affaires faites, Mandrin voulut offrir aux Ruthénois, également, le divertissement de manœuvres militaires exécutées par ses hommes. Elles se tirent dans un ordre excellent. Dès le premier jour, ce fut chez Mandrin une manie. Il avait un plaisir d’enfant à faire virer ses contrebandiers comme de vrais soldats, devant la foule qui regardait, ahurie. Sur ce point encore les brigands d’Offenbach n’ont fait que le plagier.

Enfin, marchands et chalands, bourgeois et margandiers se répandirent dans les cabarets de la ville, et de concert, à leur santé respective, burent abondamment.

Après avoir fait changer, chez le receveur des tailles, sa