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ville natale. On retiendra le nom du président qui rendit cet arrêt : Honoré-Henri de Piolenc, seigneur de Beauvoisin, Thoury et autres lieux.

Le jour même où Benoît Brissaud avait été pendu, place du Breuil, à Grenoble, c’est-à-dire le 21 juillet 1753, une autre exécution y avait été faite et avait eu sur l’esprit de Mandrin un terrible contre-coup. Son frère Pierre y avait été pendu comme faux monnayeur, après qu’on l’eut mis à la question pour lui faire révéler ses complices.

De ce fait est née la légende d’après laquelle Louis Mandrin, avant de se jeter dans la contrebande, aurait fabriqué de la fausse monnaie. On montre même, en Dauphiné, dans les grottes de la Balme, la retraite sauvage et pittoresque où il aurait établi ses ateliers. Mandrin ne séjourna jamais dans ces grottes et il ne fabriqua jamais de fausse monnaie.

Son frère Pierre avait été saisi sur la dénonciation d’un brigadier des Fermes générales, domicilié à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, Jacques-Sigismond Moret ; — un nom que Louis Mandrin n’oubliera pas. Déjà les fermes générales avaient ruiné sa famille dans l’affaire des mules. Aussi bien, la condamnation prononcée contre lui, à la suite de la rixe des Serves, faisait de lui un « bandit. »

Depuis quelque temps, Louis Mandrin prêtait l’oreille aux sollicitations d’un chef de contrebandiers, qui jouissait d’une réputation singulière de sagesse et d’intrépidité, Jean Bélissard, du lieu de Brion, voisin de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, que Mandrin dans la suite appellera « le Pays. »

Dans ce moment lui parvenait la nouvelle d’un fait d’armes qui jetait un certain éclat sur la contrebande et l’éclairait d’un jour quasiment héroïque. Tout à coup, Mandrin vit le parti qu’on en pouvait tirer. A la tête d’une poignée de hardis compagnons, Bélissard, — après avoir franchi « au gué de Popet » le Guiers vif, qui dessinait la frontière savoyarde, — envahit tumultueusement le Pont-de-Beauvoisin, en terre de France, les armes hautes, avec des cris furieux. Il s’agissait de délivrer un camarade, Gabriel Légat, dit le Frisé, de qui les gâpians s’étaient emparés et qui était retenu prisonnier au Pont-de-Beauvoisin, dans la maison du directeur des Fermes. Ceci se passait en plein