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je dis j’espère, cela signifie que je désire ne rencontrer aucun obstacle de santé qui retarde mon voyage ; car si vous concluiez de cette expression qu’il me tarde de me retrouver dans le monde politique, vous vous tromperiez bien. Il n’y a, pour le moment, que des embarras à y rencontrer et des coups à y recevoir, et si j’avais une raison valable d’en sortir pour un ou deux ans, je ne manquerais pas, je vous assure, de m’en servir. Mais la politique est une vieille coquine dont on ne peut pas se dépêtrer alors qu’on ne l’aime plus. Je retourne donc à Paris à mon grand regret. J’aurai gagné au moins à mon absence, j’espère, une santé plus affermie. Je parle de la poitrine ; car le printemps et le sirocco m’ont bien fait souffrir de l’estomac ces derniers temps.

Il me semble qu’il s’amasse un bien gros nuage sur votre Suisse ; du moins, c’est l’impression que je reçois des objets à la distance où je suis. Je crains que, dès que les puissances allemandes se seront arrangées tant bien que mal entre elles, elles ne fassent pour cimenter le nouveau lien une entreprise commune contre la Suisse, non pas seulement avec des notes, comme de notre temps, mais avec des soldats. Le roi de Prusse, d’ailleurs, s’étant fait bafouer dans ses grandes entreprises, voudra se donner la petite consolation de triompher à Neuchâtel. Telle est du moins ma prévision et j’ajoute ma crainte. Car un tel événement serait pour nous le dernier coup. Quant à moi, j’aurais plutôt donné ma démission que de me résoudre à le recevoir. On le recevra pourtant, j’en ai bien peur. Les saints qui sont rancuneux comme des saints et qui ont encore sur le cœur l’affaire du Sonderbund (je parle des saints de France) pèseront sur notre gouvernement et le feront plier.

Adieu, donnez-moi de vos nouvelles, dès que vous me croirez arrivé à Paris. Rappelez-nous particulièrement au souvenir de Mme de Gobineau et croyez à ma bien sincère amitié.

A. DE TOCQUEVILLE.


Versailles, le 12 juin 1851,

Je voulais vous écrire en arrivant à Paris, mon cher ami, mais du moment où je suis tombé dans le courant des affaires publiques, celui-ci m’a entraîné et ne m’a pas laissé le temps de respirer. Je veux cependant vous remercier de la lettre si