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réclamant 4 000 livres d’indemnité. La barque en question ne contenait pas la moindre contrebande. Au nom de la ferme générale, il fut soutenu que Bariod n’avait fait que son devoir, que les marchandises prohibées descendaient le Rhône en grande quantité, que les employés ne pouvaient forcer les gabarres à aborder qu’en tirant sur les mariniers du moment où ceux-ci n’ « arrivaient » pas au premier cri, qu’il était d’ailleurs indifférent de savoir s’il y avait eu dans le bateau de Segond des marchandises prohibées ou non, vu que Bariod l’ignorait. Par jugement du 19 juin 1754, l’employé fut acquitté, les plaignans furent déboutés de leur revendication et condamnés aux frais.

Vis-à-vis des travailleurs inoffensifs dans les champs, les gâpians se montraient d’une brutalité révoltante. M. de la Tour-du-Pin, commandant au Pont-de-Beauvoisin, sur la frontière de Savoie, en écrit le 10 avril 1755, au gouverneur du Dauphiné : « C’est leur façon d’agir (aux employés des fermes) vis-à-vis des gens qu’ils ne craignent pas. On dit que, depuis le jour de l’affaire où il resta deux paysans sur le carreau, il en mourut encore un hier, et un autre qui est à l’extrémité. Ces messieurs battent et assomment impunément. »

Les sentimens répandus dans l’âme populaire s’y développèrent. Ils s’y fortifièrent. Béranger les exprimera avec la vigueur que l’on sait. C’est la chanson des contrebandiers :


Château, maison, cabane,
Nous sont ouverts partout :
Si la loi nous condamne,
Le peuple nous absout.
On nous chante dans nos campagnes,
Nous, dont le fusil redouté,
En frappant l’écho des montagnes,
Peut réveiller la liberté !


Ces sentimens de révolte contre la tyrannie financière devaient éclater en Dauphiné avec d’autant plus de force que des traditions d’indépendance locale y demeuraient très vives. « Le Dauphiné, écrit M. Octave Chenavaz, a toujours eu la prétention d’être une province dans le royaume, et non pas du royaume. »

En Dauphiné, les impôts levés par les fermiers généraux