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russe ; j’ai une lettre de Tiflis qui me dit que Diane va très bien, et grâce à un ami incomparable, le général de Prokesch, je pense que maintenant ma femme et ma fille sont toutes deux en sûreté à Constantinople, d’où elles se rendront à Paris. Moi, cependant, je suis revenu ici en quatorze jours, traînant avec moi ma maison civile et militaire à peine en état de suivre ; car, pendant que Diane absorbait toutes mes pensées, sur vingt-deux hommes que j’avais dans mon camp, dix-huit étaient malades, un est mort, la femme du consul anglais de Téhéran est morte, la femme de chambre, dont la désertion avait été la cause première de tous ces malheurs, est morte, et mon intendant persan n’est pas encore rétabli. Mais enfin, je suis arrivé, et me voilà chargé d’affaires, tout seul avec un drogman : le reste de la légation, y compris tous les domestiques européens, est ou mort, ou retourné en France. Je vous avoue que, sauf le chagrin moral que j’ai d’être séparé de ma femme et de ma fille que je n’ai jamais quittées, je ne sens nullement le poids de la solitude. Au fond, je m’arrange très bien des Persans, Afghans, Parsis avec lesquels je vis ; il en résulte seulement que je ne parle ou n’entends le français que quand les Russes viennent me voir, ce qui n’est pas un si grand mal que ça en a l’air. Les Persans me savent gré de la façon dont je vis avec eux, et comme je suis le premier diplomate, depuis Darius, qui ait parlé lui-même avec eux et traité les affaires directement, sans interprète, ils me disent qu’ils sont contens de moi et me comblent d’amabilités.

J’ai lu votre livre avec l’empressement que vous pouvez croire, puis je l’ai laissé à Tébriz aux mains d’un homme d’une rare distinction d’esprit, M. de Khanikofî, consul général de Russie qui me t’a demandé avec insistance. Puisque vous voulez bien me permettre de vous en parler, je le ferai ; mais avant, permettez-moi aussi de répondre à une phrase de votre lettre qui concerne mes propres opinions. Il est nécessaire que j’éclaircisse ce point-là, qui tient de près à ceux dont je vais parler.

Vous me paraissez, sinon révoquer en doute, au moins être en suspens sur la portée réelle des déclarations catholiques qui se trouvent dans mon livre. Il paraît qu’à cet égard je n’ai pas été assez précis, et je le regrette ; si, d’une part, le professeur de Ewald, l’illustre hébraïsant, m’accuse d’être un des adeptes de la Compagnie de Jésus, en termes d’ailleurs fort polis, monsieur… — je ne me rappelle plus son nom, — a dit, dans le