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des détails un peu excessifs, je le crains, sur l’Afghanistan. Voici une idée qui m’est venue. Le général de Prokesch-Osten a annoncé à l’Académie des Sciences de Vienne dont il est membre, qu’il se proposait de lui envoyer un examen critique de ma doctrine historique, et l’Académie a accepté, exceptionnellement, par égard pour lui, tout en faisant remarquer que c’était sortir de ses habitudes. M. de Rémusat, l’année dernière, m’avait promis d’en faire à peu près autant à l’Académie des Sciences morales et politiques. Je doute qu’il l’ait fait. M. Mignet avait eu la bonté de l’en presser beaucoup. Il me l’avait promis, mais je ne puis nier que sa disposition d’esprit devait l’y faire répugner, « car, me disait-il, si ce que vous dites est vrai, j’aime mieux que ce soit un autre que moi qui l’affirme. » Si vous pouviez prendre cette tâche à sa place, je sais que vous ne craindriez pas la nouveauté de la doctrine, et il ne me manquerait, pour être tout à fait heureux, que de vous voir convaincu par mes dernières raisons que la moralité n’est pas engagée dans le débat et qu’une histoire écrite comme je l’entends est tout aussi sévère pour le mal que la méthode de Tacite ou de Thucydide et un peu plus clairvoyante sur les causes. J’avoue que je caresse beaucoup celle idée de vous voir mettre votre lumière devant ce que j’ai fait. A qui demanderai-je quelque chose, sinon à vous ?

Comte DE GOBINEAU.


Tocqueville, le 30 juillet 1836.

Je suis bien en retard avec vous, mon cher ami ; mais je suis sûr que vous avez excusé mon long silence, sachant le triste événement qui le causait. Vous n’ignorez pas que j’ai eu le grand malheur de perdre mon père vers l’époque où votre mémoire m’arrivait, et au moment même où je recevais votre dernière lettre, celle du 1er mai. Vous avez pu jeter assez profondément les yeux dans l’intérieur de notre famille pour savoir la place qu’y tenait notre bon et cher père, et pour comprendre quel trouble affreux a dû jeter dans toute notre existence sa perte. Presque aussitôt après sa mort, nous avons quitté Paris et sommes venus nous renfermer dans la retraite d’où je vous écris.

Venons à vous. Votre mémoire m’a très intéressé, et je ne