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plaint qu’on se sert de mes idées sans en indiquer toujours la source, ce qui veut dire qu’on s’en préoccupe ; et on m’écrit qu’un livre y a paru ou va y paraître qui se donne pour construit d’après mes données : d’Angleterre ou de Suisse, je reçois également des avis pareils, et chez moi, on me délaisse un peu. Je ne crains pas que vous me soupçonniez de haleter après la louange ; vous seriez plus disposé peut-être à me croire altéré de combat. Ni l’un ni l’autre, au fond. Mais je voudrais qu’on me discutât sérieusement dans mon pays. Je ne sais que trop d’où vient le silence, et ça ne fait pas trop d’honneur aux nôtres. Ces gens-là qui sont toujours prêts à mettre le feu partout, matériellement, et qui ne respectent rien, ni en religion ni en politique, ont toujours été, de tout temps, les plus grands lâches du monde en matière scientifique. Toute nouveauté leur fait une peur étrange, et ils vont si loin dans ce sens qu’ils n’aiment pas même à la combattre, de peur de la toucher. C’est ainsi qu’avec leur peu dégoût organique pour le protestantisme, ils l’ont laissé établir partout au XVIe siècle. Ils ont joué avec, ils en ont ri, quand il est né, ils en ont approuvé un peu ; ils s’en sont dégoûtés ensuite, ils ne l’ont pas su combattre, et pour s’en débarrasser, ils n’ont rien pu faire ensuite que la guerre civile, là où, les choses prises à temps, quelques gens habiles auraient suffi pour démontrer à tout le monde qu’il ne fallait pas prendre un chemin aboutissant à un but dont l’esprit national ne voulait pas. Ainsi de toutes les sciences. Du grand au petit, c’est la même chose. Pour être si révolutionnaires, nous ne sommes guère novateurs.

Je vous demande donc votre protection en ceci. Je n’aurais pas trop bonne grâce à le faire, sachant que vous ne m’approuvez pas, s’il s’agissait d’obtenir une apologie ; mais ce n’est rien moins que cela que je veux, c’est de la discussion d’abord, et ensuite, montrer que j’ai raison. Mais si on ne me discute pas, c’est absolument comme si on me comblait d’éloges irréfléchis. Les choses tombent d’elles-mêmes dans ce double état. Faudra-t-il que j’attende que mes opinions rentrent en France, traduites de l’anglais ou de l’allemand ? Je sais que ce n’est pas sans exemple, mais je voudrais faire tout au monde pour me soustraire à cette dure nécessité.

Je voudrais bien que vous puissiez causer de cela avec M. Mérimée. Je lui en parle aujourd’hui, après lui avoir donné