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l’aime moins, et qu’un fil s’est à jamais rompu du lien qui, par-dessus toutes les considérations de son jugement critique, unissait, jusque-là, son propre cœur au jeune cœur enchanté du poète de Parme.


Or, ce n’est nullement chose certaine que le tableau de Milan soit de la main de Corrège. Aucune tradition d’autrefois ne vient à l’appui de cette attribution : à l’archevêché de Milan, où l’Adoration des mages se cachait depuis des siècles lorsqu’on l’en a extraite pour l’installer glorieusement au musée Brera, toujours elle avait porté le nom, plus modeste, de Scarsellino. Il est vrai que la figure de la Vierge ressemble un peu à celle d’une autre Vierge qui, au musée des Offices de Florence, nous est également présentée comme une œuvre de la jeunesse de Corrège : mais cette Vierge de Florence, de son côté, n’est devenue un Corrège qu’après avoir été attribuée, de siècle en siècle, à l’école de Titien. Les deux tableaux font partie d’un groupe de peintures que » aux environs de 1890, l’actif et audacieux critique Giovanni Morelli a cru pouvoir ajouter en bloc à la liste traditionnelle des œuvres de Corrège. Un beau jour, brusquement, nous avons appris que le maître de la Sainte Catherine du Louvre et des fresques de Parme, avant d’adopter le style qui l’a rendu fameux, — et que nous savons qu’il pratiquait déjà à l’âge de vingt ans, — a pratiqué un style tout autre, ou plutôt qu’il en a pratiqué dix : car on ne peut imaginer œuvres plus hétéroclites que quelques-uns des tableaux cités par Morelli comme appartenant à cette première période de la vie du maître. Que si nous demandions à Morelli sur quoi il se fondait, en l’absence de tous documens historiques aussi bien que de toutes traditions, pour reconnaître l’art de Corrège dans la Vierge entourée d’anges musiciens du musée des Offices, dans une petite Sainte Famille du Musée Municipal de Pavie, dans un Jeune Faune du musée de Munich, et dans le reste de ces tableaux que personne, jusqu’alors, n’avait eu l’idée, non seulement d’assigner à Corrège, mais de tenir pour sortis d’une même main, voire d’une même école, le critique bergamasque alléguait des analogies dans le traitement des doigts ou des oreilles, ou bien encore telle pose, dans l’un de ces tableaux, qui se retrouvait dans une œuvre authentique de Corrège, peinte vingt ans après ; mais surtout, il nous donnait à entendre que, sur ce point-là comme sur tous les points, son inspiration lui avait révélé, infailliblement, une vérité désormais évidente et définitive. Et ainsi nous est venu, tout d’un coup et probablement à jamais, le dogme d’une première manière, « pré-corrégienne, » de Corrège. Avec leur docilité habituelle, historiens et critiques se