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japonaises[1] contiennent du Japon d’hier et d’aujourd’hui l’image la plus pittoresque et la plus suggestive. Voilà donc des écrivains venus d’origines très diverses et formés très différemment : pourtant, ils conçoivent l’art d’écrire les livres de voyage d’une manière à peu près pareille, et qu’on peut définir en disant qu’elle est également éloignée de la manière classique et de la manière romantique.

On se tromperait fort, si l’on croyait que nos siècles classiques aient manqué de récits de voyages, ou que ces récits manquent d’intérêt. Il faut relire, dans l’excellente édition que vient de nous en donner M. Louis Lautrey, le Journal de voyage[2] de Montaigne. On a trop dit que c’est surtout le journal de la santé, des cures, des digestions et des coliques de Michel Eyquem. Et comment supposer que l’auteur des Essais laissât perdre une occasion d’exercer son universelle curiosité ? Il est sensible à la beauté de la campagne ; il dessine les paysages au courant de la plume, d’un trait qui en marque le caractère essentiel. Il note les cérémonies et les costumes. Surtout il observe les hommes, leurs croyances, leurs coutumes et leurs « polices. » Il assiste dans des décors différens à cette comédie humaine qu’il ne se lasse pas d’étudier. Il n’est indifférent ni à la technique des arts, ni aux inventions de l’industrie, ni, pour ainsi dire, à rien de ce qui intéresse le voyageur d’aujourd’hui. Car nous nous attribuons un tas de découvertes qui sont vieilles comme le monde : combien de modes littéraires nous paraissent nouvelles, et dont on s’est avisé de tout temps ! Devant les ruines de Rome, Montaigne disait « qu’on ne voioit rien de Rome que le Ciel sous lequel elle avoit été assise et le plant de son gîte ; que ceux qui disoient qu’on y voioit au moins les ruines de Rome en disoient trop : car les ruines d’une si épouvantable machine rapporteroient plus d’honneur et de révérence à la mémoire : ce n’étoit rien que son sépulcre ;… que ces petites montres de sa ruine qui paressent encore au-dessus de la bière, c’étoit la fortune qui les avoit conservées pour le témoignage de cette grandeur infinie que tant de siècles, tant de feux, la conjuration du monde réitéré à tant de fois à sa ruine, n’avoient pu universellement éteindre[3]. » Sainte-Beuve n’a pas manqué de souligner ce « langage auguste et magnifique. » Mais n’avons-nous pas coutume de faire honneur à

  1. André Bellessort. la Jeune Amérique ; — En escale ; — la Roumanie contemporaine ; — la Société japonaise ; — les Journées et les Nuits japonaises, 5 vol. in-16 ; Perrin.
  2. Montaigne, Journal de voyage, publié par Louis Lautrey, 1 vol. in-12 ; Hachette. — Voir Introduction, p. 50.
  3. Op. cit. p. 230.