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pas d’autorité directe ; mais leur seule présence, dans un pays si troublé, a naturellement exercé une heureuse influence et est apparue aux populations comme une sauvegarde. Aussi leur rôle s’est-il peu à peu étendu bien au-delà de leurs attributions ; mais, en même temps, ont grandi les préventions que leur venue inspirait à l’administration ottomane. Malheureusement leurs droits sont tellement restreints que, même en étendant dans la pratique la limite de leurs prérogatives et le domaine de leur activité, ils ne peuvent ni commander à la gendarmerie, ni prendre des mesures pour prévenir ou réprimer les attentats. Ils n’obtiennent pas toujours une coopération sans réserves de la part des autorités turques ; leurs moindres démarches sont surveillées et ce n’est que par ruse ou grâce à leur ascendant personnel qu’ils parviennent, lorsqu’ils vont faire des enquêtes sur les lieux des attentats, à interroger les paysans hors de la présence des gendarmes ou des soldats devant lesquels personne ne se risque à parler. Cette défiance s’est manifestée si ostensiblement, que, dans certains districts, les officiers européens ont pu se demander si la bonne volonté dont les autorités avaient fait montre durant les deux premières années de l’application du programme de Mürzsteg, n’était pas inspirée surtout par l’espoir que, si la pacification paraissait en bonne voie, les officiers seraient rappelés à l’expiration du premier terme de leur engagement.

Bien loin de s’étonner que les officiers européens n’aient pas obtenu des résultats plus décisifs, il faudrait plutôt admirer qu’ils aient réussi, avec les faibles moyens et les pouvoirs insuffisans dont ils disposent, à exercer autour d’eux une influence réellement bienfaisante ; et il conviendrait d’en conclure, semble-t-il, qu’avec des pouvoirs plus étendus ils pourraient devenir les meilleurs agens de pacification et de réorganisation. Leur action n’a même pas été étendue à tous les sandjaks : la Vieille-Serbie, où les assassinats de chrétiens serbes par des Albanais sont quotidiens, a été exclue de la zone des réformes ; sur la frontière grecque, dans le sandjak de Selfidjé, dans les régions par où les bandes grecques pénètrent sur le territoire turc, on n’a envoyé, pendant quelques mois seulement, qu’un seul officier belge. En résumé, l’organisation actuelle du contrôle européen, par les officiers de gendarmerie n’est qu’un embryon ; mais les résultats obtenus suffisent à montrer la voie où il conviendra de s’engager le jour où l’on sera vraiment résolu à obtenir la pacification.