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Retenons cette phrase, elle résume le volume ou du moins la grande leçon qu’il renferme. Avant tout, qu’il n’y ait plus en France ni vainqueur ni vaincu. C’est un bon agent du Consulat, ce préfet Méchin qui, dans les Landes, voit venir à sa rencontre les deux partis qui s’y disputent le pouvoir, deux cortèges ennemis qui, en attendant le fonctionnaire consulaire, s’injurient et s’affrontent, et le représentant du nouveau gouvernement les entraîne confondus et réconciliés à sa suite. Le résultat répond au dessein. Un an plus tard, un observateur avisé écrira : « J’ai vu des hommes les plus passionnés dans les deux extrêmes ; ils se consolent par la pensée, s’ils ne dominent pas, que du moins ils ne sont pas vaincus par le parti opposé. » Bonaparte à cette heure a réussi dans son entreprise, étant à la fin de l’an VIII l’arbitre accepté.

Mais quelles difficultés ! Dans son propre ministère, quel déchirement, s’il n’y mettait bon ordre ! Talleyrand et Fouché se méprisant et se craignant ; Carnot peu accommodant ; Lucien odieux à tous. Faisons de ces quatre hommes un Directoire, ils se proscriront avant peu. Mettons au-dessus d’eux Bonaparte, et les voici qui travaillent à la même œuvre. C’est qu’entre ces ambitions rivales et ces jalousies explicables le premier Consul a, suivant l’expression de Beugnot, témoin bien proche de ces luttes, « tout raccordé. » — Sous ces ministres « raccordés, » un corps de 98 préfets venus de tous les points de l’horizon travaillent à la concorde : les anciens chefs de faction eux-mêmes se font, sous l’action de Bonaparte, les agens de l’apaisement. S’il en est, comme Delacroix à Marseille, qui obéissent encore quelques semaines à de vieilles haines, ils seront rappelés à l’ordre et obligés de se soumettre au plan général. Seize conventionnels, — Girondins et Montagnards, — quinze constituans et huit législateurs, — Feuillans et Jacobins, — membres des anciens Conseils, ministres du Directoire comme Cochon et Quinette ou ancien directeur comme Letourneur, quelques révolutionnaires qui ont présidé les clubs, Cordeliers ou Jacobins, un chanoine défroqué et à côté de ces témoins bigarrés du drame qui vient de finir, d’anciens intendans de la Monarchie, des présidens de bailliages avant 89, des officiers de l’ancien régime, voilà le corps préfectoral sorti de la grande promotion de l’an VIII. Comment tiendront-ils la balance entre les partis ? Au nom de son frère, le ministre Lucien le leur dit : « Accueillez tous les Français, quel que soit le parti