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lentement à la guérison. Que de précautions dès lors nécessaires pour ne se laisser ni déborder ni dépasser ! Les actes réparateurs du gouvernement ne doivent pour rien au monde être tenus pour actes réactionnaires ou le devenir. Pour cela un équilibre constant doit être gardé dans les grandes, les petites et même les très petites choses. Que Cambacérès et Lebrun soient l’un et l’autre consuls, et ministres côte à côte l’ex-évêque comte de Talleyrand-Périgord et l’ex-jabobin Fouché, cela est sans doute d’une portée considérable ; et aussi que Carnot, proscrit en Fructidor, puisse s’asseoir à l’Institut à côté de ses proscripteurs ; que Jeanbon soit préfet en même temps que Barante, et Larochefoucauld, ainsi que le citoyen Debry, hier fougueux « tyrannicide ; » que Merlin étant procureur général, d’Aguesseau soit président du tribunal ; que Real enfin, ancien défenseur de Carrier et de Babeuf, étant au Conseil d’Etat, le citoyen Béthune, — ci-devant duc de Béthune-Charost, — devienne un des maires de Paris. Mais il était aussi fort opportun que le Consul rayât du costume dont on le voulait affubler « les talons rouges comme le bonnet rouge ; » qu’en appelant Madame la citoyenne d’hier on continuât dans l’entourage des Consuls à donner du citoyen, fût-ce à un Larochefoucauld, préfet, fût-ce à un Bonaparte, vainqueur de l’Europe ; que, la veille de l’installation aux Tuileries, circonstance scabreuse, on célébrât l’apothéose de Washington, héros de la liberté ; que, dans le palais des rois restauré, on édifiât le buste de Brutus et non celui de César ; que le jour où le premier Consul s’installait dans le cabinet de Louis XVI, vide depuis le 10 août, le peuple fût admis à circuler à travers les salles du château, non plus en ennemi qui envahit, mais en ami qui rend visite ; que, dans la cour du Carrousel, débarrassée de ses ruines, on laissât soigneusement debout les deux peupliers enrubannés des couleurs révolutionnaires ; et que, d’une façon plus générale, on mît un soin jaloux, au moment où on laissait enfin les croix se relever, à entourer d’une vénération tutélaire les arbres de la liberté. Il n’y a point de petits détails pour un gouvernement prévoyant : que de pouvoirs ont sombré en France pour n’avoir point su garder les apparences ! Ce n’était point par tendresse spéciale pour les Jabobins, que Bonaparte graciait Barrère, rendait la liberté aux amis de Babeuf survivans, adoucissait le sort de Billaud-Varenne relégué en Guyane ; c’était à l’heure où il rappelait précipitamment de cette terre