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wattmen de tramways, de tout enfin, sauf ce que nous appelons en France des « bourgeois, » espèce ici inconnue. Je viens de rencontrer sur ma route pas mal de ces villes-villages, à maisons sans rues, à rues sans maisons et surtout sans pavages, que desservent des cars électriques, filant tantôt sur des pistes de gazon, tantôt entre des fondrières de boue. Quelques-unes de ces agglomérations poussent en un clin d’œil : Seattle, où le dernier recensement accuse 241 000 habitans, n’en avait pas 3 500 en 1884. Mais l’ère chaotique et primitive a pris fin dans ces champs acquis à la propriété privée, qui embrassent près des deux cinquièmes du territoire total de l’Union, — 400 millions d’hectares, — et où la terre, qui valait 204 francs l’hectare en 1890 et 255 francs en 1900, en vaut aujourd’hui 350.

Nous voici entrés dans la période de fertilisation. Le contraste subsiste entre le nombre des hommes et l’étendue des terres. A nos yeux européens, habitués dans nos vieux pays à un certain équilibre entre les individus et les milieux, il y a comme une contradiction entre ce continent immense, hier inerte, et ce groupe minime d’individus qui s’évertuent à l’exploiter ; entre ce laboureur américain qui, par certains côtés économiques, est semblable exactement au serf affranchi des temps féodaux et qui, par d’autres côtés économiques, ne diffère pas de notre industriel le plus avancé.

Qu’on y réfléchisse : tous les chiffres que je viens de citer, sur le rendement et les profits agricoles des États-Unis, paraîtront ou insignifians ou colossaux, suivant qu’on les comparera à la surface de ce pays, dix-huit fois plus vaste que la France, ou au nombre de ses citoyens, qui ne sont pas beaucoup plus du double des nôtres. Je veux dire que, si les Américains font beaucoup, par rapport à leur nombre, ils font peu par rapport à leur territoire. Ils le savent et ils entendent faire davantage, non pas seulement en défrichant de nouveaux sols à mesure qu’ils auront de nouveaux bras, mais en augmentant eux-mêmes leurs prises sur ces terres, cultivées ou vierges, qui tentent leur activité.

En France, nos agriculteurs contemporains sont de plaisans pessimistes et leurs gémissemens témoignent de leur ignorance du passé. Depuis cent ans, chez nous, le loyer des ferres a doublé, et cependant le prix du blé n’a presque pas changé. Il suffit de rapprocher ces deux faits pour s’apercevoir que, si