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il n’y a pas quinze mois, remportaient une éclatante victoire électorale et se croyaient adorés de leurs mandataires, ont senti le sol se dérober sous eux : un jour ils étaient tout, le lendemain ils n’étaient plus rien. Un changement aussi complet et aussi brusque doit avoir une cause sérieuse ; il en ressort une leçon digne d’être méditée. Le Midi éprouve un profond désenchantement du parlementarisme, qui vient sans nul doute de ce que les parlementaires lui ont fait espérer infiniment plus qu’ils ne pouvaient lui donner. Le prodigieux écart entre leurs promesses démesurées et leur puissance réelle s’est subitement manifesté à tous les yeux : la désaffection a été immédiate et radicale. Ces souverains maîtres de l’État ne peuvent rien pour guérir les maux du Midi. Alors, à quoi sont-ils bons ? À quoi servent-ils ? On a renversé des idoles inutiles ; on les brisera bientôt. Le Midi en a cherché et en a trouvé d’autres, qu’il ne tardera pas à briser à leur tour, mais qu’il a dressées, en attendant, sur le piédestal d’où il avait précipité ses députés. L’âme des foules a de ces volte-face déconcertantes. À voir sur quelle base fragile reposent certaines popularités, on se demande si notre édifice politique est beaucoup plus solide. Quand tout est miné, désorganisé, démoralisé, la moindre secousse détermine des catastrophes. Mais d’où pourrait venir la secousse ? On se rassure en regardant l’horizon qui parait calme et le ciel qui semble serein. Sécurité trompeuse ! L’axiome antique : fata viam invenient, garde toute sa valeur : ce qui est fatal trouve toujours le moyen d’arriver. Qui aurait pu prévoir, il y six semaines à peine, que la mévente des vins du Midi mettrait tant de choses en péril et amènerait des révélations si graves sur l’état vrai de certaines de nos institutions ? Certaines choses qu’on ne soupçonnait pas sont tout d’un coup devenues évidentes. La démission de M. Sarraut, qui aurait été dans d’autres circonstances un fait insignifiant, a été un trait de lumière M. Sarraut a été le premier surpris de ce qui lui arrivait. Et M. Clemenceau lui-même, pris d’émotion, s’est écrié à la tribune : « Ce n’est pas pour me trouver mis en demeure de prendre de telles résolutions que j’ai accepté le pouvoir. » Parole candide ! On accepte le pouvoir pour en jouir tranquillement pour jouer au personnage, pour essayer même de faire quelque bien, sans être jamais sûr de ne pas faire beaucoup de mal. Mais la logique des choses fait jaillir des effets soudains de causes nombreuses et lointaines ; des fautes anciennes développent d’abord lentement, puis brutalement leurs conséquences ; les tempêtes sortent du vent imprudemment semé ; et on est mis en demeure de prendre des résolutions redoutables. Tel a