charmille. Il est trop vrai qu’on ne nous l’a pas montrée où nous aurions voulu la voir. Mais ailleurs, au premier acte, en quelques mesures de Landry la décrivant à Fortunio, là du moins nous l’entrevoyons un instant, nous en goûtons la fraîcheur et l’ombre, nous en entendons les murmures. Enfin, sur tout le second acte, nous sentons flotter un peu de l’esprit de Musset et de son cœur, sa jeunesse, et sa mélancolie amoureuse, et sa tristesse attirante, ou mieux, comme il disait lui-même,
- cette douce ivresse
- Où la bouche sourit, où les yeux vont pleurer.
Écoutons, puis lisons et relisons encore la scène de Jacqueline avec maître André, celles qui suivent : de Jacqueline toujours, avec Clavaroche, avec la camériste, avec Fortunio. Partout et jusque dans les détails, — les moindres sont ici précieux, — nous trouverons de quoi nous charmer et vaguement nous attendrir. Musset, qui, de nos grands poètes, fut le plus musicien, aurait permis, aurait goûté cette musique, écrite avec des mains légères, un peu tremblantes d’amour. Il eût estimé peut-être que, par elle, quelque chose de sa poésie et de son âme était entré dans « le royaume où résident les enchantemens célestes des sons. »
Mme Carré, MM. Fugère, Dufranne et Francell composent le quatuor conjugal et extra-conjugal de Fortunio. M. Fugère est supérieur au rôle de maître André, qui n’est pas le mieux venu. M. Dufranne (Clavaroche) unit la rondeur à la carrure, autant que l’une et l’autre se peuvent concilier. M. Francell a dans la voix et dans le chant la pureté, la jeunesse et comme la blancheur qu’il faut. Enfin jamais personnage ne convint mieux que celui de Jacqueline à la nature au talent, aux grâces nonchalantes et savoureuses de Mme Marguerite Carré.
CAMILLE BELLAIGUE.