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Ici brève et hachée menu, par couplets et refrains, la phrase mélodique se développe ailleurs en longue, en eurythmique période. Ainsi la souple, hypocrite réponse de Jacqueline aux questions, aux reproches de maître André, semble en quelque manière, indolente, paresseuse ainsi que Jacqueline même, aller avec elle du lit à la chaise longue et mollement, négligemment, avec elle toujours, s’y étendre et s’y reposer.

En cette musique chantante, le rythme, l’harmonie, l’orchestre, tout avive et relève le chant. La variété rythmique est l’un des charmes de ce second acte, où je ne sais presque rien que de charmant. Qu’au premier acte, entre deux parties de boules, « Landry, mon clerc, » porte, après la santé du patron, celle de la patronne, il suffit que l’accompagnement appuie ou joue à peine sur deux degrés diatoniques, formant avec le chant une dissonance discrète ; il suffit que sur deux accords l’ombre du mode mineur vienne à passer, et voilà deux accens délicats, l’un de sérieux, l’autre de sensibilité. L’orchestre enfin, qui souvent accompagne, souvent aussi fait beaucoup plus et beaucoup mieux qu’accompagner. Il a son rôle et sa vie, son esprit et son cœur, il n’a besoin que de quelques notes de cor pour étendre en quelque sorte derrière les aveux de Fortunio tout un passé, tout un lointain mystérieux.

Et puis, que voulez-vous ? La musique elle-même a ses favoris ou ses enfans gâtés. Tout sied à M. Messager, tout lui réussit, de lui tout est bien venu. Il donne à des riens une grâce nonpareille et je ne sais quelle faveur préserve son facile talent, alors même qu’il n’est que facile, de paraître vulgaire ou seulement négligé.

Nous-même, au moment de conclure, il ne nous souvient pas d’autre chose, en ce Fortunio, que de ce qui nous a séduit. Le premier et le second acte effacent les autres en notre mémoire et ne sont pas indignes de les faire oublier. Ici, dans cette claire musique, ainsi qu’en un flacon de verre, l’esprit, le sentiment du chef-d’œuvre littéraire, et sa poésie même s’est condensée. Oui, le musicien ici ne fut point au-dessous du poète et ses notes, même légères, ont éveillé des résonances profondes. Qui donc a dit qu’en art tout revient à des questions, à des nuances de sensibilité ? Il fallait surtout, ou seulement, que la sensibilité du Musset du Chandelier passât dans la musique de Fortunio. Or, en plus d’un endroit, elle y a passé tout entière. Passage délicat, mystérieux, presque indéfinissable, et que çà et là pourtant l’oreille et le cœur savent surprendre.

Ainsi nous regrettions qu’on nous eût changé le jardin, la