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revenir au scrutin d’arrondissement. De 1789 à 1875, la France a accueilli, puis rejeté, une douzaine de constitutions, et, sous toutes ces constitutions, elle a fait une douzaine de fois le voyage, le pendule législatif a oscillé une douzaine de fois entre le scrutin d’arrondissement et le scrutin de liste, proclamés successivement exécrables et supérieurs. En 1793, l’uninominal ; en 1795, la liste ; en 1814, l’uninominal ; en 1817, la liste ; en 1820, l’uninominal ; en 1848, la liste par département ; en 1852, l’uninominal ; en 1871, la liste ; en 1875, l’uninominal ; en 1885, la liste ; en 1889, l’uninominal… Ainsi ni l’infériorité ni la supériorité d’un mode de scrutin sur l’autre n’a été catégoriquement, irréfutablement démontrée…

Les partisans du scrutin d’arrondissement font valoir que, avec le scrutin de liste, « il est impossible que les électeurs connaissent tous les candidats. » Cela est vrai ; mais est-il vrai que, avec le scrutin d’arrondissement, tous les électeurs connaissent le candidat ? « Avec le scrutin de liste, disent-ils, le comité est tout-puissant, au chef-lieu du département ; » et, avec le scrutin uninominal, le comité n’est-il pas tout-puissant au chef-lieu de l’arrondissement ? — « Le scrutin de liste favorise le mouvement plébiscitaire ; » mais le scrutin uninominal l’entrave-t-il ? Et ne pourrait-on pas répondre que, plus les circonscriptions sont petites, plus elles sont dans la main et à la merci du pouvoir central ? — « Le scrutin de liste favorise des coalitions qui révoltent la conscience publique, et c’est la nuance extrême qui impose ses volontés. » Et en quoi le scrutin d’arrondissement empêche-t-il les coalitions, ou [garde-t-il de la chute aux extrêmes ?

Les partisans du scrutin de liste répliquent d’ailleurs : « Avec le scrutin d’arrondissement, les élections, à y bien regarder, n’ont point de sens politique, ou elles en ont peu, ou elles en ont moins qu’avec le scrutin départemental ; elles ne déterminent point de courant politique. » — « Tant mieux ! tant mieux ! s’écrient les autres : avec le scrutin uninominal, il n’y a pas, comme vous dites, de courant politique, mais il n’y a pas de crues subites et de débordemens ; c’est un petit flot qui coule doucement, mais sûrement ; qui dort un peu, mais auquel on peut sans imprudence confier sa barque. » Les partisans du scrutin de liste reprennent alors : « Mais, avec votre scrutin d’arrondissement, nous n’aurons jamais que des choses médiocres et des hommes médiocres, des intérêts et des députés de clocher ! » — « Ce sont les intérêts réels, leur riposte-t-on du camp opposé, et les hommes médiocres sont les hommes pratiques. Après tout, vous en avez usé du scrutin de liste, il n’y a pas longtemps ; quels hommes si éminens nous a-t-il donnés ? »

« Enfin, — et c’est le coup que tenaient en réserve les défenseurs du scrutin de liste, — enfin, le scrutin d’arrondissement fausse l’esprit même du régime ; le représentant, avec lui, n’est plus qu’un commissionnaire qui assiège les ministres et les bureaux, si bien que, des électeurs aux candidats, des comités aux députés, des députés aux chefs de groupes, et des chefs de groupes aux ministres, la politique n’est plus qu’un marchandage. » Le coup est bien lancé et il porte, mais le scrutin d’arrondissement n’en est pas frappé à ne s’en plus relever : « Commissionnaires pour commissionnaires, peuvent répondre ses apologistes- ; au lieu de commissionnaires