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entier. » Elle a tranché par là, non sans avoir un moment hésité, une difficulté, en quelque sorte préalable ou préjudicielle, et qui était de savoir s’il fallait choisir comme base la population totale ou seulement le nombre des électeurs inscrits.

L’une et l’autre thèse pouvaient se défendre, et ont été vaillamment défendues. Les électeurs inscrits : car à quel titre des étrangers, qui, s’ils comptent dans la population totale, ne participent pourtant pas à la souveraineté nationale, compteraient-ils pour la représentation nationale ? La population totale : car les femmes, les enfans qui ne sont pas électeurs ou électrices, ces étrangers même, auxquels on ne peut songer à conférer l’électorat, ils ont cependant des intérêts qui veulent être au moins indirectement représentés ; et, pour passive qu’on suppose leur qualité civique, on ne peut cependant tout à fait la leur dénier, la leur ôter absolument. Si vous vous attachez à la population totale, si les étrangers sont comptés, prenez garde : voici un arrondissement voisin de la frontière, en voici un autre où l’industrie, rapidement et extraordinairement développée, a provoqué un afflux considérable, une immigration et presque une invasion, d’ouvriers italiens ou belges : sans avoir peut-être un électeur de plus, sans en avoir dans tous les cas autant de plus qu’il en faudrait, ces arrondissemens vont avoir un député de plus. — Mais aussi, prenez garde ! si vous vous en tenez aux électeurs inscrits, et si vous défalquez, avec les étrangers, les enfans et les femmes, d’abord vous frustrez les grandes villes et, dans les grandes villes, surtout les familles les plus nombreuses, vous atteignez le « prolétariat » au sens étymologique du mot ; ensuite, vous allez à l’encontre de tout le mouvement moderne qui tend à élargir le suffrage, soit en attribuant aux femmes, comme aux hommes la capacité électorale, soit en instituant, d’après ses charges, — c’est-à-dire d’après le nombre de ceux qu’il fait vivre, — un coefficient de vote en faveur du chef de famille ; à l’encontre encore de ce que l’on ne m’en voudra pas de nommer « le bon internationalisme, » de cet internationalisme raisonnable et sage qui n’est guère qu’un adoucissement des mœurs, par lequel le terme d’étranger perd peu à peu sa signification d’ennemi, et grâce auquel les peuples se découvrent peu à peu et se communiquent l’un à l’autre, au lieu de se rétracter hostiles et hérissés l’un contre l’autre.

Ayant pesé ces raisonnemens, et voulant d’ailleurs, en vue