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pour l’école. Vous reconnaissez la cornette de la bourgeoise au XVIIIe siècle, la guimpe, la robe de laine retroussée sur la jupe, le tablier. L’enfant a l’habit à paniers, les manches en bottes, la touffe de cheveux serrée en catogan. Chez la jeune fille du Volant, (n° 49), vous reconnaissez pareillement la cornette en papillon et cet étrange corps en forme de gaine où l’on croyait indispensable d’emprisonner les tailles enfantines pour qu’elles ne gauchissent pas. Dans la Petite fille aux Cerises (n° 47), vous retrouvez ce détail de la toilette et les petites engageantes aux manches qui vous montreront une fois de plus que le XVIIIe siècle habillait les petites filles comme leurs mères et n’avait pas imaginé que l’enfant fût digne qu’on lui dédiât un costume spécial. Chez Fragonard, sauf dans le Billet doux où l’on reconnaît le bonnet à la laitière et les manches en éventail, on perdrait son temps à identifier les modes du temps. Elles n’appartiennent qu’à une époque : l’époque du pittoresque, qu’à un pays : l’ « isle de Cythère. » Parfois, comme dans le tableau l’Heureux ménage (n°140), on pourrait se croire au XXe siècle. Les actions de Chardin se passent dans un temps très défini ; celles de Frago sur la scène de tous les temps.

Cette scène tient du théâtre et du parc abandonné. C’est un décor d’opéra qui tend à redevenir sauvage, comme si tout d’un coup, aux yeux stupéfaits du public, les portans se mettaient à croître, les coulisses à se refermer, le gros arbre qui sert de boîte à lettres aux amoureux à pousser de nouvelles branches du côté du soleil. Un vent d’orage souffle sur toute cette féerie décorative et en fait la complice de l’intrigue humaine qui s’y noue. Les grands arbres étendent la bénédiction de leurs bras chargés de feuillages sur les amoureux qui passent. Le soleil traîne et accroche et déchire à toutes les aspérités son suaire d’or. Les ruines s’écroulent juste où il faut pour que l’amour s’y pose. Les orages malins gonflent les paniers et les robes. Les escarpins quittent le bout des pieds. Les coiffes quittent les têtes. Les statues font des signes de connivence et de prudence aux cervelles qui tournoient, et pour cacher au reste du monde le mystère frivole et tendre qui s’accomplit, les lourds jets d’eau montent et foisonnent comme des arbres, tandis que, du haut du ciel, les arbres profus, nombreux et plafonnans s’écroulent et retombent, masse par masse, comme des cascades qui n’arriveraient jamais à toucher le sol…