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LE
DOUBLE MIROIR DU XVIIIe SIÈCLE

CHARDIN ET FRAGONARD

Quand on suit, dans le récit de quelque voyageur de la Renaissance, ou de quelque pèlerin en Terre Sainte, les péripéties et les traverses qu’il endura pour parvenir à son but ou pour rentrer dans sa patrie, il arrive fréquemment ceci : qu’après avoir promené son bâton sur une infinité de terres arides et cousu à son camail les coquilles d’une foule de rivages inhospitaliers, après avoir cheminé parmi des peuplades sauvages et monstrueuses qu’il a vues ou dont il a ouï parler : les hommes à tête de chien, la nation des Astomes ou hommes sans bouche, les Thibiens qu’on reconnaît parce qu’ils ont dans un œil une pupille double et dans l’autre une effigie de cheval, les Pygmées en bataille contre les grues, les hommes sans tête et ceux qui n’ont qu’un pied, mais si démesuré qu’il leur sert de parasol ; après avoir enduré la faim des montagnes et la soif des déserts, la captivité chez les Barbaresques, la rencontre des dragons, des gargouilles, des serpens à quatre pieds, tout ce qu’un voyage dans ces temps reculés, aux géographies incertaines, comportait de hasards et de fâcheuses aventures, il se trouve tout d’un coup l’hôte d’un palais enchanté. Est-ce dans une île de l’Archipel, dans quelque Chypre ou dans quelque Famagouste, ou bien dans l’intérieur du continent mystérieux, en Abyssinie ou en Tartarie ? L’amphitryon se nomme-t-il le duc d’Athènes