substitueraient au salariat un autre mode de production ? Ketteler ne le pensait point, et tout en continuant de griffonner des plans de coopératives, il envisagea sans retard la meilleure façon de prêter aide aux ouvriers dans le régime industriel de l’heure présente. A côté des brouillons dans lesquels il édifiait une « solution de la question sociale, » d’autres brouillons prirent place sur son bureau, où il examinait les moyens immédiats de relever la situation du travailleur.
En voici un, cité par le P. Pfülf, qui semble remonter à l’année 1865 :
A la place du self-help individuel du libéralisme, doit surgir le self-help corporatif, sans exclure un appui raisonnable de la part de l’État. Je maintiens, pour cela, la nécessité d’une organisation à laquelle tous les travailleurs doivent appartenir ; comme base la profession. Étudier son organisation. La pousser à faire des propositions. Pour cela, élaborer une constitution pour la classe des travailleurs… La profession doit assurer protection matérielle et morale à ses membres, dans le sens du self-help corporatif. Les professions ont, au-dessus d’elle, une fédération d’arrondissement pour toutes les professions dans l’arrondissement. Cette fédération forme pour les membres un pouvoir d’appel, administre et emploie la richesse commune, organise les rapports entre l’État et la profession… Reconnaissance de la fédération d’arrondissement par l’Etat.
Quelques lignes sont sautées, à peine déchiffrables dans le manuscrit ; d’autres trop sommaires, trop hâtives, sont à peine compréhensibles. Mais, dans l’ensemble, nous avons ici tout un plan d’organisation professionnelle, englobant tous les membres d’un même métier, les encadrant solidement, les protégeant, et garantissant à la profession même, dans le fonctionnement de la vie de l’Etat, une active autonomie. Si Ketteler veut l’organisation ouvrière, c’est en vertu des mêmes principes d’indépendance et d’autonomie qu’il avait trouvés, tout jeune, dans une tradition féodale de bon aloi ; c’est en vertu de l’instinct naturel qui le pousse à vouloir conserver et fortifier, au-dessous de l’État centralisateur, un certain nombre d’organismes vivant de leur propre vie ; c’est en vertu du goût qu’il a pour toutes les attaches naturelles subsistant encore parmi le vaste émiettement du monde moderne, attaches terriennes, attaches confessionnelles, attaches professionnelles, cimentant de petites sociétés bien unies et bien vivantes parmi l’éparpillement anarchique du vaste chaos social.