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question sociale, s’est éteint il y a six ans seulement : il s’appelait Joseph-Edmond Joerg et avait, en 1852, succédé à Guido Goerres et au canoniste Phillips dans la direction des Feuilles. Archiviste à Munich, ses articles contre la bureaucratie lui avaient valu un poste de disgrâce dans la bourgade lointaine de Neubourg : c’est de là qu’il regardait la terre tourner, les hommes s’agiter, les révolutions se préparer. « Dites-moi de grâce qui est cet auteur, écrivait Montalembert après avoir lu des pages anonymes de Joerg, afin que j’inscrive son nom parmi ceux des esprits les plus sagaces que j’aie encore rencontrés. » Joerg mérite de figurer, à côté de Ketteler, parmi les éducateurs sociaux des catholiques d’Allemagne.

Le livre d’informations dans lequel l’Allemagne catholique apprit à connaître et à juger les diverses écoles sociales fut le livre d’Edmond Joerg, publié à Fribourg en 1867 et intitulé : Histoire des partis politiques sociaux en Allemagne. De proposer la solution chrétienne, Joerg ne s’en préoccupe qu’en passant ; il estimait, sans doute, qu’on ne pouvait mieux dire que n’avait dit Ketteler. Mais la méthode même de son livre, l’esprit qui l’inspire, le point de vue où il se place, habituaient les catholiques, si l’on peut ainsi parler, à une certaine optique sociale, qu’il importe de définir avec quelque soin. Pour Edmond Joerg, l’hégémonie économique de la bourgeoisie est le mal souverain, et par bourgeoisie il entend la classe sociale qui profita de la révolution de 1848 pour renverser toutes les barrières économiques et qui, dans la suite, déclara superbement que le National Verein, avec ses aspirations anticléricales, représentait des millions de capital. En tant que catholique et en tant que sociologue, Joerg enregistre avec satisfaction la rupture, opérée par Lassalle, entre cette bourgeoisie et la masse ouvrière ; il mesure avec allégresse les coups portés par la nouvelle école démocratique à la tyrannie politique et sociale du capital bourgeois. Qu’on ne s’égare pas sur le sens du mot bourgeoisie ; Joerg, comme tous les catholiques d’outre-Rhin, attache beaucoup de prix au maintien des classes moyennes, mais l’un des reproches qu’il fait précisément à la bâtisse économique que Schulze Delitzsch s’essaie à recrépir, c’est que les classes moyennes elles-mêmes y sont mal logées. « Certainement, dit-il, la différence du riche et du pauvre est voulue par l’ordre divin ; mais là où les fortunes moyennes se dissolvent pour qu’une petite